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à 175 ; en 1872, au paroxysme de la fièvre, il atteignit 376, et dans les quatre premiers mois de 1878, jusqu’à la veille de la catastrophe, on accorda encore 154 concessions. La mesure était pleine, elle déborda. Et cependant, des 1,005 projets qui reçurent l’autorisation administrative, 328 ne furent pas réalisés ; les 682 autres durent verser 860 millions de florins, soit près de 1,800 millions de francs : les fondateurs s’étaient engagés pour 8 milliards 400 millions de francs[1]

Il serait injuste de mettre au même niveau les 682 créations nouvelles portées sur les cotes de la Bourse de Vienne de 1867 à 1873 : il y en avait de solides et utiles ; il y en avait de médiocres et d’autres qui n’étaient pas nées viables. Ces dernières semblent avoir été au nombre de 135, car elles ont dû liquider les affaires, non sans causer de fortes pertes à leurs actionnaires ; mais parmi les établissemens restés debout, il en est beaucoup qui, pendant plusieurs années, n’ont distribué aucun dividende ; ils végétaient en attendant des temps meilleurs, et leurs capitaux restaient stériles. Malheureusement une partie de ces capitaux, et d’autres que la catastrophe détruisit plus vite, avaient été détournés de leur emploi naturel, l’industrie, le commerce, l’agriculture, de sorte que le travail s’en ressentit, et la consommation davantage : le pays s’est trouvé appauvri tout d’un coup, et, au bout de cinq ans, il n’a pas encore pu cicatriser ses blessures.

Nous parlions tout à l’heure d’avertissemens ; si quelque part ils n’ont pas manqué, c’est à Berlin ; si quelque part on a été frappé de vertige, c’est dans cette capitale, et l’on peut dire, sans exagération aucune, dans l’Allemagne entière. A tort ou à raison, un publiciste distingué a plaidé les circonstances atténuantes. La Prusse, a-t-il dit, est entrée plus tard que certaines autres nations dans la carrière industrielle ; en 1846 elle n’avait encore que 1,139 machines à vapeur d’une force de 21,715 chevaux. Des mesures libérales venaient de débarrasser l’industrie d’entraves surannées ; les voies de communication se perfectionnant avec rapidité, les manufactures prirent un grand essor et dès 1861 on comptait 6,669 machines fixes, d’une force de 137,377 chevaux[2]. Les capitaux s’étaient sensiblement accrus par la voie de l’épargne lorsque la guerre de sécession éclata aux États-Unis. L’Allemagne envoyait depuis des années de nombreux émigrans dans les états du nord, c’est de ce côté que se

  1. Nous empruntons ces données à un rapport parlementaire autrichien sur la crise (n° 445 de la VIIIe session) et au Journal officiel allemand du 22 janvier 1877. Selon l’Annuaire financier autrichien (der Compass), l’Autriche avait en tout, à la fin de 1861, 149 sociétés par actions ; à la fin de 1872, 703 ; à la fin de 1876, 512 sociétés. Quelques-uns des renseignemens que nous allons donner sur la Prusse sont puisés dans un remarquable document rédigé par M. Engel, directeur de la Statistique royale.
  2. En 1875, on compta plus de 31,000 machines et 656,000 chevaux.