Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 32.djvu/435

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un secrétaire, un capitaine de port, un ingénieur et un huissier. Sancho Pança, dans son gouvernement de l’île Barataria, n’eut pas un pouvoir plus étendu et en même temps plus paternel que celui qui fut donné aux gouverneurs suédois de Saint-Barthélemy. Ils étaient à la fois le pouvoir exécutif, le pouvoir militaire, et le pouvoir judiciaire ; afin de faire respecter tant de puissance, ils avaient sous leurs ordres une milice locale de vingt-un hommes, — trois caporaux et dix-huit soldats, recrutés dans la population française de l’île. Aujourd’hui le doyen de ces braves gens est un soldat qui entra au service sous Bernadotte, en 1825 ! Les gouverneurs étaient assistés, mais dans les circonstances graves seulement, d’un conseil privé, composé de six notables habitans ; ce conseil avait le droit d’émettre des idées, jamais celui de faire une loi.

Comment avouer qu’avec tant d’avantages offerts aux navires marchands, qu’avec tant de licences accordées aux immigrans en quête d’une liberté absolue, Gustavia ne prospéra pas ? Sa rade resta déserte et vides ses entrepôts ; loin d’enrichir le budget de la Suède, d’être un débouché à ses productions, il fut bientôt constaté que la colonie était un fardeau pour la métropole et qu’il y aurait avantage à s’en défaire. Le commerce de Saint-Barthélemy n’a jamais consisté, en effet, qu’en un échange des produits du sol avec les îles voisines et principalement avec l’île anglaise de Saint-Christophe : elle leur vend du bétail, du poisson salé et des cargaisons d’ananas ; elle en reçoit de la farine, du froment, des étoffes, et ce qui est nécessaire aux besoins de la vie. La principale industrie du pays est l’élevage du bétail ; les propriétaires riches ou peu fortunés s’en occupent à tous les degrés, trahissant ainsi une fois de plus leur origine normande. Les habitans qui n’ont pas de terres ou de fermes à cultiver tressent des chapeaux ; les pailles viennent de Cuba et c’est pour le compte de quelques marchands de Saint-Thomas qu’elles sont travaillées. On fait aussi à Saint-Barthélemy des éventails très élégans, des fleurs très belles en écailles nacrées de poisson. La pêche y occupe beaucoup de bras ; l’on peut avoir aisément de quinze à vingt livres de poisson pour une bagatelle, vingt-cinq centimes tout au plus. La vie est extrêmement facile dans toute l’étendue de l’île ; les loyers sont d’un bon marché inimaginable, le reste à l’avenant. L’air qu’on y respire est tellement sain, par suite de l’absence de marécages et d’étangs, que l’on n’y connaît ni médecin, ni chirurgien, ni dentiste, ni pharmacien. Bien d’autres professions libérales y sont inconnues. Croira-t-on qu’il n’y a pas à Gustavia un seul marchand d’étoffes, de modes, de confection et de mercerie ? Les habitans sont contraints de s’adresser aux magasins des îles voisines ; mais cet inconvénient est sans