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avec son heureuse situation au bord de la mer, son bois de cocotiers et sa population blanche, mérite la visite de tous ceux que le hasard fait venir en touristes dans les Antilles françaises.

Le principal avantage de Saint-Barthélemy, autrefois, c’était son beau port, appelé port du Carénage par les Français, et en face duquel les Suédois ont construit Gustavia. « C’est, disait au siècle dernier le père Dutertre, un havre qui pénètre d’un quart de lieue dans la terre par une entrée large de cinquante pas ; il en a plus de trois cents de longueur en quelques endroits, et aux plus étroits, deux cents. Il est accessible en toute saison même pour les plus grands navires. » Un port de cette étendue, quelle que fût sa profondeur, n’a pas dû être inconnu des flibustiers. C’est évidemment du fond de ces havres bien avancés dans les terres, ignorés de leurs ennemis, que ces hardis aventuriers s’élançaient par compagnie ou matelotage de vingt-cinq à trente hommes à l’abordage des galions espagnols. — « On ne sait pas, dit Voltaire dans le Dictionnaire philosophique, d’où vient le mot de flibustiers, et cependant la génération passée vient de nous raconter les prodiges que ces flibustiers ont faits. » Il nous semble qu’on peut retrouver l’étymologie du mot de flibustier dans l’expression de flying boat ou bateau ailé, surtout lorsqu’on sait que les flibustiers, au nombre desquels se trouvaient des Anglais, des Bretons et des Normands, n’employaient que des barques légères, non pontées ; le succès de leurs coups de main dépendait de la promptitude de leurs attaques[1]. C’est aussi sur ces petits îlots qui entourent Saint-Barthélemy et qui portent les noms de la Frégate, de la Tortue et de la Fourmi’, que los demonios de la mar, comme les appelaient les Espagnols, se rendaient pour cacher leurs butins ou en faire le partage. De quelles discussions épouvantables, de quelles rivalités sanglantes, de quelles saturnales indescriptibles ces vertes îles des Antilles n’ont-elles pas été les témoins ! On raconte aussi que les flibustiers y enfouissaient leurs prises lorsque, pressés de reprendre la mer, ils n’avaient pu les réaliser et en dépenser la valeur en débauches. Tous les historiens du XVIIe et du XVIIIe siècle s’accordent, du reste, pour dire beaucoup de mal des flibustiers. Un des plus célèbres les traite de « tigres doués d’un peu de raison. » Cependant nous avons vu que Louis XIII ne méprisa pas leur concours ; Louis XIV ne se montra pas plus dédaigneux à leur égard. Il avait permis, en 1679, l’armement de plusieurs corsaires qui étaient partis d’un port de France pour aller s’emparer de Carthagène en Colombie ; cette ville était alors sur cette côte la plus riche et la plus forte.

  1. D’après Littré, flibustier vient du hollandais vrybuiter.