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de Gustavia, avec ses maisons blanches, ses tuiles rouges, encadrée à droite et à gauche par des bouquets de cocotiers et quelques murs déchiquetés. Aux arbres séculaires ont succédé des champs de maïs et de manioc, des plantations d’arachides, d’ananas, de tabac et de coton. On trouve en effet réunie à Saint-Barthélemy comme dans une serre immense toute la flore des Antilles, depuis la fougère arborescente, l’oranger, le citronnier, l’arbre à pain, le goyavier, l’avocatier, la pomme cannelle et la pomme cythère, jusqu’au cactus en boule, dit tête à l’anglais, cactus ébouriffé, épineux, qui sert d’excellente clôture aux plantations. La faune est pauvre, mais du moins on n’y connaît aucun animal dangereux, et le trigonocéphale à fer de lance, qui fait tant de victimes à la Martinique, y est inconnu. Il y a de belles variétés de tourterelles comme dans toutes les îles de l’Atlantique et du Pacifique, et cependant le ramier des Antilles ne s’y voit qu’accidentellement ; la pintade s’y reproduit en liberté, et l’ortolan y est commun ; à l’époque où les oiseaux sont en quête d’un doux hivernage, l’île est envahie par des bandes d’émigrans emplumés, et alors la chasse aux flamans, aux pluviers et aux canards sauvages devient très productive. L’agouti, que l’on trouve à chaque pas dans l’intérieur de l’île Sainte-Lucie, est inconnu à Saint-Barthélemy ; il n’y a de curieux que l’anolis, beau lézard, long d’un pied, d’un vert d’émeraude et d’une agilité surprenante. C’est une des plus belles espèces connues, et dont nous n’avons rencontré l’égale en longueur qu’en Égypte. On a répété à satiété que l’île Saint-Barthélemy manquait d’eau au point d’en rendre le séjour sinon impossible, du moins très difficile. Il n’y a, il est vrai, ni lacs, ni rivières, ni fontaines, mais, à la saison des ouragans, la pluie est recueillie avec soin dans des citernes propres et spacieuses, et ses eaux emmagasinées suffisent non-seulement aux besoins des habitans, mais encore aux nécessités de l’agriculture et aux arrosages des prairies, La population de l’île Saint-Barthélemy est de 2,800 habitans, pas plus, et pourtant elle réunit en elle toutes les couleurs, toutes les nuances d’un habit d’arlequin. Il n’y a, du reste, que l’œil exercé d’un vieux créole qui puisse classer sans se tromper les résultats de croisemens si divers : qui ne s’y tromperait ? le blanc et la négresse produisent le mulâtre ; mais si la mulâtresse s’allie au noir, elle produit le cafre, et si la cafresse s’allie au nègre, elle produit le grippe ; la mulâtresse s’allie-t-elle au blanc, alors elle produit le mestif ; si la mestive s’allie de nouveau à un blanc, elle produit le quarteron, et ainsi de suite… Quoi qu’il en soit, cette population bigarrée, dont une moitié habite Gustavia, la capitale, et l’autre moitié l’intérieur de l’île, vit dans une entente parfaite. Qu’est devenue la race