Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 32.djvu/379

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

par terre, ou tenterait-on de se frayer un passage à travers la flotte syracusaine ? » Les Syracusains se tenaient prêts pour ce dernier effort. En possession des deux promontoires qui encadrent l’entrée de la baie, ils avaient rendu la défense de la passe plus facile en y établissant un double barrage. Il était cependant moins périlleux encore de hasarder l’évacuation par mer que de se jeter, avec des troupes démoralisées, dans les montagnes. Toute l’armée, il est vrai, ne sortirait pas à la fois de péril, car il était impossible, après les pertes de navires qu’on avait subies, de songer à rembarquer la totalité des troupes. Ce qui resterait en arrière, solidement retranché, pourvu d’une quantité de vivres à la rigueur suffisante, serait, — on l’espérait du moins, — en mesure de tenir l’ennemi en respect, jusqu’au jour où Athènes aurait, par de nouveaux armemens, reconquis sa suprématie maritime. On viendrait alors, avec une nouvelle flotte, avec de nouveaux transports, enlever d’un seul coup la garnison qu’il fallait bien laisser, inévitable otage, sur cette fatale terre de Sicile.

C’est toujours une opération délicate que de débarquer des troupes ; c’est pourtant peu de chose au prix des difficultés qu’on rencontre quand on est contraint de les rembarquer. Nous avons étudié ce problème au temps où nous occupions, après la prise de Sébastopol, le plateau de la Chersonèse et les plus confîans ne le trouvaient pas facile à résoudre. « Ne serait-on pas fatalement conduit, disaient-ils, à sacrifier, en se retirant, la majeure partie du matériel de guerre, les chevaux, l’artillerie, — qui sait même, si l’on était un peu vivement pressé, les derniers bataillons ? » Et pourtant nous étions complètement victorieux ! Les Athéniens, au contraire, venaient d’être battus.

Tout l’espoir de Nicias résidait dans l’issue d’un nouveau combat naval. Que serait ce combat ? Une véritable boucherie. Le terrain ne se prêtait, en aucune façon, aux manœuvres ; accrochées l’une à l’autre par les grappins d’abordage, les trières ne seraient plus qu’un plafond mobile sur lequel les hoplites combattraient de pied ferme. Les tillacs furent en conséquence chargés de gens de traits et de soldats pesamment armés. Il n’y avait pas à craindre d’alourdir les galères ; c’eût été se créer un souci superflu que de vouloir les garder manœuvrantes ; elles n’auraient pas à faire un long usage de leurs rames. En équipant tout ce qui pouvait encore flotter, les Athéniens parvinrent à réunir cent dix vaisseaux. Démosthène, Ménandre et Euthydème prirent le commandement de cette force navale ; Nicias garda le commandement des troupes laissées à terre. Lorsque l’armée, conduite par son vieux chef, se fut déployée sur le rivage, la flotte s’ébranla. Il restait une étroite issue entre les deux barrages ; ce fut vers cette issue, unique voie de salut