un volant irrésistible qui l’emporte. Un pilote de Corinthe, Ariston, fils de Pyrrhicos, le meilleur pilote de la flotte syracusaine au dire de Thucydide, eut l’ingénieuse idée de tirer parti des habitudes de la marine grecque, pour prendre la flotte athénienne en défaut. Il ne faut pas traiter trop dédaigneusement les stratagèmes de guerre des anciens, car il en est dont l’application nous serait fort utile. La guerre est la lutte de la ruse et de la force ; il serait par trop maladroit de n’employer qu’un seul de ces moyens. Pour nous approprier les ruses dont la marine tant antique fit usage, il faut avant tout les bien comprendre ; le stratagème imaginé par Arision nous demeurerait lettre close si nous ne savions d’abord de quelle façon vivaient les équipages à bord de la trière grecque. Ces équipages, nous l’avons déjà dit, n’emportaient généralement avec eux que trois jours de vivres, — le bagage habituel du soldat. — Leurs vivres consommés, ils en achetaient d’autres en chemin. La galère du XVIe siècle avait sa cuisine, — le fougon, — à l’établissement duquel était sacrifié l’emplacement d’un banc tout entier. Aussi la chiourme prenait-elle ses repas à bord. Elle restait pendant de longs mois, enchaînée à son banc, sans jamais poser le pied à terre. Le rameur grec, au contraire, n’allumait de feu que sur le rivage. Deux fois par jour, il accostait le premier cap venu et s’occupait d’y préparer ses repas. La nécessité de s’arrêter « pour faire la soupe et pour apprêter le café » commande encore les mouvemens de nos troupes ; une obligation analogue s’imposait aux navarques et aux triérarques de l’antiquité. La galère devint au moyen âge une caserne flottante ; la trière ne fut jamais qu’une sorte de bac, un bateau de passage. La stratégie devait se ressentir d’une différence si notable. On a vu des galères combattre au large ; les trières ne se montrent que rarement à distance de la rive. Elles y sont ramenées par les besoins journaliers de la vie, tout autant au moins que par leur inaptitude à supporter la grosse mer. Ces explications nous aideront à bien saisir l’idée d’Ariston et à suivre les diverses phases du combat qui se livra, en l’an 413, dans la baie de Syracuse.
Sur ces bords du Léthé que nous habitons, quelqu’un a-t-il gardé la mémoire de la façon dont s’y prit le général Pélissier pour jeter ses troupes à l’improviste sur le terre-plein de la tour Malakof ? Sans qu’il s’en doutât, ! e général français fut dans cette journée un imitateur du pilote grec. L’histoire, au déclin de la vie, a ce charme tout particulier qu’elle nous met constamment en présence des choses que nous avons vécues. On l’a probablement dit avant moi, mais je ne crains pas de m’exposer à le redire, l’histoire est un perpétuel recommencement. Voyons d’abord le stratagème employé