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jointe à la faveur populaire. Le succès qu’il obtint, en cette occasion, auprès de ses collègues, fut d’ailleurs de peu de conséquence. Les habitans de Messine repoussèrent les propositions d’alliance qu’on leur adressa ; ils se montrèrent, en outre, si bien préparés à faire respecter leur neutralité qu’Alcibiade lui-même jugea prudent de ne pas insister davantage. Ce que voulait surtout le fils de Clinias, ce qu’il déclarait indispensable, et peut-être avait-il raison, c’était qu’on s’assurât un lieu de refuge avant d’entreprendre aucune autre opération. Messine fermait ses portes ; il fallait, sans perdre de temps, s’adresser à Catane. On embarqua des troupes sur soixante vaisseaux, et on alla demander à Catane s’il ne lui conviendrait pas, dans la lutte qui s’ouvrait pour la liberté de la Sicile, — on promet toujours la liberté aux peuples qu’on envahît, — de prendre parti contre Syracuse. Une pareille question, posée par un millier d’hoplites à une ville sans murailles qui n’avait pas eu le temps de se mettre sur la défensive, ne pouvait rencontrer qu’une réponse favorable. Le peuple de Catane décréta qu’il entrait, dès ce jour, dans l’alliance des Athéniens. Il donna des otages, reçut une garnison, et les soixante vaisseaux se hâtèrent de retourner à Rhegium, pour en ramener, avec le reste de la flotte, le reste de l’armée. La base d’opérations se trouvait, sans combat, transportée en Sicile.

C’est le malheur des gens qui n’ont pas l’habitude de marcher droit d’être parfois victimes des plus absurdes et des plus injustes soupçons. Alcibiade, quand il avait conseillé l’expédition que combattait Nicias, s’était cru autorisé à rassurer les Athéniens sur les intentions du Péloponèse. A peine cependant l’expédition était-elle partie qu’une armée lacédémonienne s’avançait et prenait position dans l’isthme de Corinthe. Une incroyable panique s’empare à l’instant d’Athènes. Les citoyens se portent en armes au temple de Thésée ; ils y passent la nuit, croyant voir apparaître, d’un moment à l’autre, les vedettes de Sparte. Il n’y a qu’un cri dans la ville : Alcibiade est d*accord avec les Lacédémoniens ; il leur a promis d’éloigner les troupes, il les appelle maintenant sous les murs d’Athènes. O race crédule et changeante ! Qui donc peut être encore assez fou, assez abandonné des dieux pour se fier à ta foi et pour courtiser tes faveurs ? Alcibiade est un traître ; Alcibiada doit mourir. Que la Salaminienne l’aille chercher en Sicile ! Il n’est pas de navire, si rapide qu’il soit, qui ne coure le risque de paraître trop lent au gré de l’impatience dont est agité ce peuple. La Salaminienne ne perd pas une minute ; elle arrive à Catane précisément le jour où les plans d’Alcibiade viennent de triompher. On ne conduit pas d’ordinaire, comme l’a très justement fait observer le