Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 32.djvu/351

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sa voix du vin des sacrifices et, sur chaque navire, les chefs accomplirent les libations prescrites. Il ne restait qu’à rentrer à bord les amarres. Les vaisseaux sont libres, aucun câble ne les attache plus au rivage ; l’armée entière entonne le péan, et les rameurs laissent tomber à l’eau les avirons. C’en est fait ! la flotte est en route ; puissent les dieux la ramener quelque jour au port ! Une dernière acclamation a salué les vaisseaux et fait vibrer les ondes d’une rade vide ; la foule s’écoule lentement, assiégée de pressentimens funèbres ; les amis d’Alcibiade, s’ils entendent les propos divers qui s’échangent, doivent se tenir déjà pour moins assurés de la faveur populaire.

Jusqu’à Égine, la flotte navigua en route libre ; les trières rivalisaient entre elles de vitesse. A Égine, on adopta un ordre plus régulier et on s’occupa de longer, sans s’exposer à des séparations ou à des abordages, les côtes du Péloponèse. Corcyre avait été choisi pour lieu de rendez-vous ; ce fut à Corcyre qu’on prit les dernières dispositions. La flotte fut partagée en trois divisions d’égale force ; les généraux tirèrent le commandement de ces divisions au sort. Les vaisseaux se lancèrent alors en plein canal et, secondés par un vent favorable, allèrent aborder sur la rive opposée de la mer Ionienne ; la plupart prirent terre dans le voisinage de Tarente. L’apparition de la flotte athénienne surprit les Tarentins ; elle éveilla chez eux plus d’inquiétude que de sympathie. Aucune ville importante n’ouvrit aux Athéniens ses murs ou ses marchés. A Tarente même et à Locres, on poussa la méfiance jusqu’à refuser aux trières la faculté de renouveler leur provision d’eau. L’influence de Syracuse se faisait déjà sentir, et les généraux d’Athènes recueillaient là les premiers symptômes des difficultés qui les attendaient.

La flotte continua de côtoyer l’Italie. Les grèves de la Calabre sont abruptes ; les vaisseaux les purent suivre sans s’en écarter de plus d’une longueur de trière, jusqu’à l’antique colonie de Chalcis, Rhegium, devenue aujourd’hui la ville italienne de Reggio. Depuis trois cents ans, Rhegium était l’asile des Messéniens chassés de leur patrie. N’y avait-il pas lieu d’espérer que les Athéniens y rencontreraient un meilleur accueil qu’à Tarente et à Locres ? Rhegium cependant, comme Tarente et comme Locres, déclara sa ferme intention de demeurer neutre ; sa neutralité seulement affecta des formes moins hostiles. Rhegium admit les Athéniens à s’approvisionner au marché qui fut, pour leur usage, ouvert sous les murs de la ville. C’était un premier pas de fait vers l’alliance. On en toléra un second. Le rivage de la Calabre est si escarpé qu’il ne peut être question de rester au mouillage dans les eaux profondes qui le