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profanations qu’il n’eût pas hésité à déclarer indignes d’un bon citoyen. Au dire de Colbert, « le devoir envers Dieu se peut accommoder fort bien avec les divertissemens d’un honnête homme en sa jeunesse ; » comment, à plus forte raison, ne s’accommoderait-il pas avec les recherches d’un esprit sérieusement philosophique ? Afficher le mépris des dieux de la patrie nous a toujours paru un acte de patriotisme très douteux.

Neveu de Périclès, Alcibiade mettait un singulier orgueil à remplir la cité du bruit de ses débauches, de ses folles dépenses et de son impiété. Admirablement doué pour séduire sa patrie et surtout pour la perdre, l’élève de Socrate posséda le grand art de voiler l’incroyable légèreté de ses plans sous l’apparence de vues vastes et profondes. « Il voulait, disait-il, soumettre la Sicile, subjuguer, après la Sicile, l’Italie, passer de l’Italie en Afrique pour y réduire Carthage, prendre à la solde d’Athènes les mercenaires dont se composait en majeure partie l’armée punique, construire de nouvelles galères avec les bois que fourniraient en abondance les forêts de la péninsule tyrrhénienne, rassembler alors tous les peuples avec lesquels Athènes avait quelque communauté de race et d’origine, transporter ces colons des côtes de la grande Grèce, des côtes de l’Ionie sur les rivages du Péloponèse, écraser ainsi, par terre et par mer, la puissance de Corinthe, la puissance d’Argos, la puissance de Sparte, de façon qu’il n’y eût plus désormais qu’un état grec et que cet état, dont Athènes resterait le centre, régnât, sans contestation possible, des bords de la Carie aux colonnes d’Hercule. » Xerxès ne rêva jamais rien de plus gigantesque, et Xerxès avait derrière lui l’Asie,

Ce grand projet, fruit d’une imagination déréglée, mit sept ans à mûrir. Nicias le combattit à outrance. De sa résistance opiniâtre, cet esprit prudent, ce général consommé ne retira que le périlleux honneur d’être associé, pour le commandement de l’expédition, au fils de Xénophane, Lamachos, et au fils de Clinias, Alcibiade. Le but avoué de l’entreprise était de secourir Egeste, ville située sur la face nord-ouest de la Sicile, contre une autre ville, Sélinonte, qui occupait à peu près, sur la côte du sud-ouest, l’emplacement que couvre aujourd’hui de ses vieilles maisons espagnoles la cité île Sciacca ; en fait, il s’agissait bien moins de régler une querelle intestine, qui avait pour Athènes un médiocre intérêt, que de faire, pendant qu’il en était temps encore, échec à Syracuse. Colonie corinthienne, Syracuse prenait peu à peu, dans le bassin occidental de la Méditerranée, l’importance de Tyr, et l’on pouvait craindre qu’elle ne s’acheminât insensiblement vers la domination de la Sicile tout entière.

En l’année 415 avant Jésus-Christ, vers la fin du printemps,