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genres de la littérature et se les appropria. Aucun ne put échapper. Après s’être emparée des plus sérieux, elle ne dédaigna pas les plus futiles. Elle était en effet soumise aux conditions de tous les autres arts, qui ont besoin de se renouveler pour vivre, et elle n’a duré tant de siècles qu’en cherchant sans cesse des élémens nouveaux d’intérêt. On a vu combien l’amour était alors à la mode, et que c’était la passion dont la peinture avait le plus de succès auprès du public. Les sophistes ne négligèrent pas ce moyen de plaire, et ils écrivirent des ouvrages où l’amour tient la première place. C’est alors que furent composés ces recueils de lettres qu’on supposait écrites par de grands personnages de l’antiquité, lettres d’amour surtout entre des poètes ou des philosophes et des femmes du monde ou des courtisanes célèbres. C’était une imitation en prose de ces héroïdes ou épîtres amoureuses, inventées par les poètes d’Alexandrie. L’influence des Alexandrins était plus visible encore dans ces récits de légendes mythologiques que les rhéteurs composaient pour exercer leurs élèves et qu’ils appelaient des préludes (progymnasmata), parce qu’ils servaient à les préparer à des sujets plus difficiles. Nous avons conservé quelques-uns de ces morceaux : ils décrivent les aventures de Penthésilée et d’Achille, d’Atalante et d’Hippomène, de Pyrame et de Thisbé, comme les poètes les avaient racontées, avec les mêmes incidens, et des descriptions de lieux ou des peintures de sentiment tout à fait semblables. Ces histoires, on l’a vu, contiennent le roman en germe ; pour qu’il existât réellement, que fallait-il ? Laisser là le récit antique et les personnages légendaires, qui commençaient à fatiguer le lecteur, et, tout en conservant le fond de l’intrigue et la même manière de dépeindre l’amour, inventer une fable nouvelle qui, au lieu d’être empruntée à la tradition, sortît tout entière de l’imagination de l’écrivain. Le jour où un sophiste entreprenant osa le faire, le roman grec fut créé.

Nous le tenons donc maintenant tout entier ; nous savons d’où viennent les diverses parties qui le composent, nous connaissons ceux qui en furent les véritables auteurs. Il est né de la sophistique, et quand les critiques anciens ne nous le diraient pas, il serait facile de le deviner. On y trouve en abondance ces descriptions pompeuses, ces discours subtils, ces monologues passionnés, ces lettres délicates, cette prose poétique, ces agrémens et ces ornemens qui charmaient les sophistes ; on y trouve surtout le dédain profond de la vie réelle qu’ils portaient dans tous leurs ouvrages. M. Villemain fait remarquer, à propos du meilleur peut-être de ces romans, du Théagène et Chariclée d’Héliodore, qu’il ne contient que des mœurs fictives et ne représente ni un siècle, ni un peuple. « On ne pourrait