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sérieux. Il était naturel qu’il vînt un jour à l’esprit d’un auteur plus habile que les autres de les réunir ensemble, pour plaire à tout le monde à la fois, et rassembler ainsi deux sources d’intérêt dans un même ouvrage. M. Rohde, en cherchant bien, a trouvé la trace d’un essai de ce genre. Le souvenir nous en a été conservé par le patriarche Photius, qui, comme l’évêque Huet, ne dédaignait pas les romans. Il nous a laissé, dans sa volumineuse Bibliothèque, l’analyse assez confuse de l’ouvrage d’un certain Antonius Diogène, qui était intitulé : Les choses merveilleuses d’au delà de Thulé. C’est un livre où les fables abondent et dont la géographie est tout à fait fantastique. On nous dit que Thulé est placée aux extrémités du monde, mais la situation véritable de cette île lointaine n’est pas aisée à fixer. L’un des héros de l’ouvrage y arrive en passant par la Mer-Noire, un autre après avoir traversé les enfers. Les personnages, qui de tous les coins de l’univers finissent par s’y rencontrer, se font entre eux le récit de leurs aventures. Ce sont des histoires singulières, quelquefois très ridicules, où il est fort question de la philosophie et de la magie qui commençaient alors à s’unir ensemble. On y voit un prêtre égyptien qui a des recettes pour plonger les gens dans une léthargie que lui seul peut faire cesser, un disciple de Pythagore qui met en fuite des armées en jouant de la flûte et qui possède cette propriété bizarre que ses yeux croissent ou décroissent avec la lune, en sorte qu’on n’a qu’à le regarder pour savoir en quelle phase de son cours on se trouve. Ce qu’il y a de nouveau dans l’ouvrage d’Antonius Diogène, ce n’est pas l’accumulation de ces fables absurdes, la visite aux enfers, ou le voyage chez des peuples qui sont aveugles le jour et n’y voient que la nuit, etc., c’est que l’amour y joue un rôle important. Il y est fort question d’une Phénicienne, la belle Dercyllis, persécutée par un méchant magicien, qui est aimée de diverses personnes, surtout de l’Arcadien Dinias, le héros du livre ; on y raconte la manière dont ils quittent Thulé, et finissent par se retrouver ensemble à Tyr où, selon l’usage de ces sortes d’histoires, un mariage heureux terminait la série de leurs aventures.

Voilà donc pour la première fois réunis les deux élémens dont le roman grec se composera désormais. Est-ce à dire que ce roman existe à partir du second siècle, et qu’il faut le faire dater du livre d’Antonius Diogène ? M. Rohde ne le croit pas : pour qu’il soit complet, il manque encore quelque chose, sinon pour le fond, au moins dans la forme. Photius loue le style de Diogène d’être clair et précis, il ne lui attribue pas d’autre mérite. Or les romanciers grecs, ceux auxquels M. Rohde accorde véritablement ce nom, sont surtout pompeux et poétiques. Le souci du beau langage les occupe