célébrait la beauté des monumens. Il faisait surtout une description minutieuse du temple de Jupiter, des hautes colonnes qui le soutiennent, des statues admirables dont il est rempli, de ses portes faites d’argent et d’or, d’ivoire et de citronnier, de ses murailles que décorent les offrandes les plus précieuses et les plus rares. — Ici les nouveautés commencent, et le philosophe arrive enfin, après ce long détour, à ce qui était le dessein particulier de son livre. — Pendant qu’il se promène parmi toutes ces richesses amoncelées, il aperçoit une colonne d’or, toute couverte d’hiéroglyphes, et sa curiosité est excitée par ces caractères qu’il ne peut pas lire. Heureusement des prêtres complaisans veulent bien les lui expliquer, et quelle n’est pas sa surprise quand il voit que ces inscriptions barbares contiennent l’histoire véritable des dieux même de la Grèce ! Cette histoire n’était pas fort édifiante : on y voyait que ceux qu’on honorait comme des dieux ne méritaient guère ces hommages. Jupiter était un roi fort habile, qui avait jugé bon de se faire adorer par ses sujets afin d’être mieux obéi ; Vénus, une prostituée vulgaire, la première qui ait mis ce beau métier en honneur, et Cadmus un cuisinier qui s’était sauvé un beau jour avec une joueuse de flûte. Pour les dévots de ce temps, c’étaient là des blasphèmes abominables, mais l’agrément du récit romanesque aidait à les faire passer. Grâce aux descriptions poétiques de la Panchaïe, le livre, malgré ses témérités, fut beaucoup lu, et, quoique Évhémère ne fit qu’exposer les idées des philosophes qui l’avaient précédé, il passa pour l’auteur du système et lui donna son nom.
Tous les ouvrages dont je viens de parler sont antérieurs à la domination romaine. Pour l’époque qui suivit, les informations deviennent plus rares. Il était pourtant nécessaire à M. Rohde de montrer que le goût pour ces récits de voyages imaginaires s’était maintenu en Grèce jusqu’aux premiers siècles de l’empire, et qu’on les lisait alors avec autant de plaisir que du temps d’Alexandre ou avant lui. C’est Lucien qui lui en fournit la preuve. Il faut bien croire qu’autour du terrible railleur cette littérature futile avait conservé tout son crédit, puisqu’il éprouva le besoin de s’en moquer Quoique l’ouvrage qu’il a composé à ce sujet porte le nom d’Histoire véritable, il déclare solennellement, dans la préface, qu’il ne contient que des mensonges : « De cette façon, ajoute-t-il gaîment, il y a au moins un endroit dans mon livre où je dirai la vérité. » Cette précaution, à l’en croire, n’était pas inutile ; car, si le lecteur n’eût été bien prévenu, sa robuste crédulité était prête à tout accepter et capable de tout croire. Du reste Lucienne se pique pas de grande nouveauté ; de même que tous ces faiseurs de récits fabuleux se copient les uns les autres, il les imite sans scrupule : il