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toujours de deux élémens étrangers l’un à l’autre et réunis entre eux d’une manière artificielle : une histoire d’amour et un récit d’aventures extraordinaires sur terre et sur mer. » Il vient de nous montrer d’où l’histoire amoureuse est tirée ; pourrions faire connaître l’origine du reste, il étudie ce qu’on pourrait appeler la littérature des voyages chez les Grecs.

Il n’y a peut-être pas de pays où elle ait été aussi riche ; elle commence au début même de l’histoire grecque. Tandis que le paysan italien, attaché au champ que son travail obstiné féconde, plein de respect et d’affection pour ses petits dieux domestiques, ne consent pas à s’éloigner d’eux et veut vivre et mourir près de la tombe de sa famille, les Grecs, quoiqu’ils aiment beaucoup « à voir la fumée sortir du toit de leur maison, » sont néanmoins de grands coureurs d’aventures. La mer, qui les entoure de tous les côtés, leur fait peur et les attire. Ils s’y confient en tremblant, soutenus contre toutes leurs craintes par un invincible désir de voir le monde, « de visiter les villes et de connaître les mœurs des hommes. » Les plus anciennes légendes qu’on leur ait racontées sont le voyage des Argonautes et le retour des héros grecs après la prise de Troie, et il n’y a jamais eu de récit qui leur ait fait tant de plaisir. Ils ne se lassaient pas surtout d’entendre parler d’Ulysse ; ils aimaient qu’on leur dît comment, après avoir résisté aux artifices de Circé et des sirènes, vainqueur de Polyphème, sauvé de la tempête, il abordait seul dans l’île miraculeuse d’Alcinoüs. « Voilà, dit Nitsch, le premier en date de tous les Robinsons ! »

Mais l’imagination, une fois excitée et mise en goût, n’est pas aisée à contenter et elle exige qu’on lui fasse des récits de plus en plus surprenans. Les voyageurs n’étaient que trop disposés à satisfaire ces exigences. Au retour de leurs expéditions hasardeuses, ils voulaient toujours avoir vu un peu plus que les autres, et, quand la vérité toute seule ne semblait pas assez piquante, ils ajoutaient sans scrupule à la vérité. On savait bien qu’il fallait se méfier d’eux : « un récit de matelot » voulait dire en grec un mensonge. Cependant on les écoutait toujours avec plaisir, et la complaisance de leurs auditeurs encourageait l’audace de leurs inventions. D’ailleurs ils n’inventaient pas tout et se contentaient souvent de reproduire, avec quelques embellissemens, ce qu’on leur avait dit. Ceux qui revenaient de l’Inde avaient entendu raconter les légendes bizarres que nous lisons encore dans le Mahabharata et le Ramayana ; il était question, dans ces récits, de pays miraculeux habités par des êtres étranges qui n’avaient qu’un œil ou qu’une jambe, d’hommes à tête de chien, de géans ou de pygmées : au lieu de dire qu’on leur en avait seulement parlé, ils affirmaient qu’ils les avaient vus, et