comparaison qu’il poursuit entre les poètes et les romanciers. Elle lui montre que les peintures de l’amour sont tout à fait semblables chez eux, et comme le hasard seul ne peut pas amener de pareilles rencontres, il en conclut qu’elles sont le résultat de l’imitation. On peut donc affirmer, selon M. Rohde, que toute cette partie du roman grec, qui est de beaucoup la plus importante, où l’on met en scène des personnages amoureux et où l’on décrit les phases diverses que traverse leur passion, est sortie de la poésie hellénistique.
Voilà donc le fond du roman grec trouvé : il se composera pour l’essentiel de la peinture d’un amour partagé. Mais cette peinture suffira-t-elle au romancier pour alimenter tout son ouvrage et tenir son public en haleine ? Il pourrait à la rigueur s’en contenter s’il savait joindre au récit des alternatives par lesquelles passent les amoureux des études approfondies de mœurs et de caractères. C’est ce qui se fait aujourd’hui ; malheureusement les romanciers grecs ne paraissent pas avoir poussé bien loin leurs analyses psychologiques : ils se tiennent toujours à la surface du cœur. Ils n’ont pas assez connu la société ou étudié les passions humaines pour donner à leurs ouvrages ces qualités d’observation profonde et variée qui sont l’intérêt principal des romans de nos jours. D’ailleurs, dans les époques de décadence, les lecteurs sont plus exigeans. Il y avait longtemps qu’on n’écoutait plus avec la même complaisance les récits interminables de l’épopée. On était fatigué de l’attitude raide et de la grandeur immobile des héros du vieux drame. La curiosité des lecteurs voulait être éveillée et satisfaite ; elle demandait qu’on lui présentât des héros plus vivans, une action compliquée, des péripéties imprévues. L’auteur ne peut donc plus se contenter de la maigre histoire d’amour qu’il a entrepris de raconter ; il faut de toute nécessité qu’il y joigne d’autres incidens. Il suppose donc que son couple amoureux est tout d’un coup séparé par des événemens étranges qui lui font courir les plus grands périls, jusqu’à ce qu’enfin, après des luttes de toute sorte, vainqueurs de tous les obstacles, les deux amans finissent par se réunir pour ne plus se quitter. Ces événemens ont partout le même caractère : ils pourraient arriver à tout autre qu’aux personnages dont on raconte l’histoire, ils ne sortent pas nécessairement du sujet que l’auteur a choisi et forment pour ainsi dire une action nouvelle dans l’action principale. « Les romans grecs, dit M. Rohde, se composent