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dans les diverses classes de la société des habitudes différentes. Les plus élevées sont celles aussi où les femmes ont conquis le plus d’importance. Dans l’histoire des monarchies orientales qui remplacèrent celle d’Alexandre, on nous parle des reines presque autant que des rois. Elles partagent le pouvoir avec leurs maris, quelquefois même elles les dépossèdent de l’autorité et ne leur en laissent que l’ombre. Conformément à ce qui se passe dans nos royautés modernes, les rois cimentent par des mariages les traités qu’ils concluent entre eux. C’est reconnaître d’une manière officielle que la jeune femme aura sur son époux assez d’empire pour le maintenir dans cette alliance nouvelle. Les femmes des Ptolémées ne passent plus leur temps dans le gynécée ; elles ont une cour à côté de celle de leurs maris. Elles s’entourent de savans, d’artistes, de poètes, qui cherchent à leur plaire, qui reproduisent leurs traits sur la toile ou le marbre, qui les chantent et qui les flattent. Si naïfs qu’on les suppose, ils ne prendraient pas cette peine s’ils n’en espéraient pas quelque profit. Il est probable que des princesses sans autorité et sans influence n’auraient pas trouvé de flatteurs, et l’excès même des adulations prouve l’étendue de leur pouvoir. On se rappelle que, lorsque la reine Bérénice fut obligée de couper ses beaux cheveux, dont elle était si fière, l’illustre Conon, qui d’ordinaire était plus grave, supposa qu’ils avaient été changés en astres, et les logea dans le ciel, et qu’aussitôt Callimaque, piqué d’honneur par cette courtoisie astronomique, s’empressa de chanter en vers galans la chevelure de Bérénice.

Que cette importance prise par les souveraines ait profité à leurs sujettes, et qu’on ait cherché à reproduire dans les rangs moins élevés ce qui se passait dans les palais, il est assez naturel de le croire. Les grands sont toujours le modèle des petits, surtout dans les pays monarchiques où l’imitation du maître est une partie de l’obéissance. M. Helbig a recueilli soigneusement tous les indices qui montrent que même dans les classes inférieures ces grands exemples avaient porté quelque fruit. On peut admettre d’une façon générale qu’à partir de l’époque d’Alexandre les femmes ont conquis un peu plus de liberté et joui d’un peu plus d’influence dans cette société grecque où on les avait jusque-là si durement traitées. Mais il ne faut rien exagérer non plus ; pour l’essentiel et dans la plupart des pays, les anciennes habitudes se maintiennent. Les deux sexes, dans la vie ordinaire, continuent à être rigoureusement séparés. Les femmes ne peuvent rencontrer les hommes ni au théâtre, où il leur est généralement interdit d’entrer, ni dans les repas, où leur présence aurait paru un scandale ; l’épouse d’un Grec ne peut traverser les rues, se rendre aux temples et aux