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à la rencontre du patriarche et tu lui rendras exactement les mêmes honneurs et révérences que tu as coutume de rendre à notre métropolite. » Le commissaire chargé d’aller au-devant de Jérémie et de l’accompagner reçut pour instructions « de savoir dans quelles intentions le patriarche se rendait chez le tsar, s’il occupait actuellement le trône de Constantinople ou si un autre le détenait à sa place ; s’il voyageait seulement pour recueillir des aumônes ou s’il était chargé d’un message pour le tsar de la part du saint-synode. » Les instructions ordonnaient d’user en toutes choses avec le prélat de l’étiquette réservée au métropolite de Moscou. Leur teneur démontre clairement que le voyage de Jérémie n’était pas le résultat d’une entente préalable.

Les légats de Féodor rejoignirent les saints personnages à Smolensk et insistèrent pour les ramener sans retard à Moscou. Le voyage dura dix jours ; ils eurent partout à se louer de la somptueuse hospitalité du grand-duc. Arsène s’étend avec complaisance sur « la bonne chère, le talent des cuisiniers et tricliniarques. » Le soir du dixième jour, comme ils gravissaient une éminence boisée, ils virent leurs guides russes se hâter vers le sommet et se prosterner pieusement sur le plateau ; c’était la colline, si célèbre plus tard sous le nom de Colline des Moineaux, d’où le voyageur aperçoit soudainement le panorama de Moscou déroulé à ses pieds. — Nos habitans du Bosphore, qui avaient le droit d’être difficiles, nous ont laissé le témoignage de leur surprise et de leur admiration. Un Orient nouveau se révélait à eux, complètement différent du leur, marqué d’un caractère tout personnel, et qui semblait venir d’une Asie plus mystérieuse et plus lointaine que celle dont ils connaissaient les abords. Les villes polonaises, bâties à l’allemande, ne les avaient en rien préparés à ce tableau : les villes turques, bien que répandues de même dans un océan de vergers, ne leur fournissaient pas davantage un point de comparaison. Peut-être se souvinrent-ils à ce moment des récits merveilleux contés dans les bazars de Stamboul par les marchands de Samarcande sur les cités du pays mongol ; peut-être s’imaginèrent-ils voir une de ces cités convertie par enchantement et arborant la croix sur ses coupoles étranges, aux éclatantes couleurs. C’était moins une ville qu’un immense monastère qui s’étendait jusqu’aux limites de l’horizon, enserré entre les replis de la Moskva. L’œil s’égarait à vouloir compter les clochers, les dômes d’or, d’argent ou d’azur étoile, qui se pressaient dans le ciel. Sur chacune des innombrables églises étincelaient cinq coupoles de métal. Entre ces églises, la multitude des toits, presque uniformément peints en vert, donnait à la ville l’apparence d’un échiquier de cuivre verdegrisé. On y