Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 32.djvu/24

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

au lieu des 10,000 que la Porte avait coutume de recevoir, assura à l’usurpateur le firman impérial. Intronisé l’an 1584 et fort désormais de la protection du Séraï, Théolepte eut l’imprudence d’entreprendre une tournée en Valachie. A la faveur de son absence, les amis de Jérémie travaillèrent et payèrent avec succès pour le compte de leur patron : le proscrit de Rhodes, revenant sur la galère qui lui avait apporté sa grâce, fut pour la troisième fois proclamé patriarche de l’église d’Orient. — On peut juger si elle était déchirée et saignante, la malheureuse église, et ruinée surtout. Non seulement le trésor du patriarcat avait été mis à sec par ces compétitions acharnées, mais les revenus des provinces et le crédit de la curie étaient engagés pour de longues années. Voilà où les entraînemens du milieu et les nécessités de la lutte avaient conduit un prélat naturellement pieux et honnête, qui avait inauguré son pontificat en assemblant un concile pour détruire la simonie. Dans ces tristes conjonctures, Jérémie lit de nouveau un solennel appel aux chefs des factions ; une réconciliation générale s’ensuivit, et l’on s’occupa de panser les plaies communes. Théolepte fut envoyé pour recueillir des fonds en Géorgie, Pacôme en Chypre et en Égypte. Le patriarche lui-même résolut de tenter un voyage plus lointain et plus nouveau, celui de la Moscovie ; il comptait pour relever ses affaires sur la munificence du grand-duc.

Jérémie quitta Constantinople à la fin de 1587. Il était accompagné de son plus fidèle champion, Dorothée, évêque de Monembasia ; si nous en jugeons par la part constante que ce prélat avait prise aux troubles ecclésiastiques, il ne devait pas avoir vu souvent la jolie petite ville de Morée dont il était le pasteur nominal. Les voyageurs se dirigèrent d’abord sur la Moldavie ; l’hospodar, Pierre le Perclus, était pauvre et obéré lui-même par le tribut turc ; cette première étape ne fit rentrer que 2,000 florins dans leur aumônière. De la vallée du Danube, ils gagnèrent la Pologne et Lublin, où ils s’adjoignirent Arsène, évêque d’Elassone au mont Olympe. On ne sait trop ce que ce dernier faisait à Lublin, quand il y reçut l’ordre de Jérémie de se tenir prêt à l’accompagner en Russie. — « Je sautai de joie à bas de mon lit, et courus acheter une voiture et des chevaux, » dit Arsène en commençant la relation qui sera désormais un de nos principaux guides. Le patriarche et ses deux acolytes, en quittant Lublin, allèrent saluer à Zamosk le grand chancelier Jean Zamoyski et lui demander des lettres royaux pour le grand-duché de Lithuanie, réuni depuis vingt ans à la monarchie des Jagellons. Il n’y avait rien à espérer de la catholique Pologne, gouvernée alors par le très catholique Sigismond. La pieuse caravane en sortit par Brest et gagna Vilna, capitale de la