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est résulté cette loi d’amnistie partielle sur laquelle on a fini par s’entendre tant bien que mal, qui garde nécessairement un caractère assez équivoque. Pour une mesure d’humanité, la grâce suffisait, l’amnistie était de trop ; pour un acte politique, c’était insuffisant et dangereux. Le ministère lui-même ne s’y est point mépris. Il savait qu’il dépassait sa propre politique aussi bien que la pensée du pays en prononçant ce mot d’amnistie. Tout ce qu’on peut dire, c’est qu’il n’a rien négligé pour atténuer l’inévitable équivoque ; il n’a pas déguisé qu’il croyait être allé bien loin, qu’il avait peut-être fait une œuvre bizarre, et en avouant sans subterfuge les défectuosités juridiques de ses combinaisons, M. le garde des sceaux a tenu du moins à définir, à limiter la portée des propositions qu’il a acceptées ; il l’a fait avec une chaude et courageuse éloquence, mettant son honneur à imprimer une flétrissure nouvelle à l’insurrection de 1871, en laissant à la commune le caractère indélébile d’un crime de trahison nationale, M. Le Royer, qui a été le vrai vainqueur de cette discussion, n’a point hésité à avouer que ce qu’il demandait avant tout c’était une marque de confiance politique, et le seul avantage de cette loi qui a été votée par la chambre des députés, qui va être sanctionnée par le sénat, c’est d’en finir avec cette question de l’amnistie, dont les passions de parti ont seules pu faire un embarras sérieux. Le ministère peut se considérer comme délivré de ce côté. Qu’en sera-t-il maintenant de cette autre affaire de la mise en accusation des ministres du 16 mai, soulevée et prolongée avec aussi peu d’à-propos, avec aussi peu de raison politique ?

Rien n’est encore décidé sur ce point, à ce qu’il paraît. La commission parlementaire chargée depuis deux ans de recueillir les petits papiers de la grande enquête n’a pas eu jusqu’ici le temps de se prononcer, de dire le secret de ses délibérations et de son rapport qui doivent étonner le monde. La commission doit entendre M. le président du conseil, M. le garde des sceaux, M. le ministre de l’intérieur, dont l’opinion n’est certes pas douteuse. Les membres du cabinet ne peuvent qu’être des conseillers utiles et opportuns pour ces politiques des accusations à outrance qui ne trouvent rien de mieux que de laisser traîner dans nos affaires cette menace d’un procès plein de périls et d’irritantes péripéties. Ils ne peuvent que faire remarquer à ces juges incorruptibles ce qu’il y a d’étrange à parler sans cesse d’apaisement quand il s’agit de la commune et à montrer un tel acharnement contre des ministres qui après tout, quelles qu’aient été leurs erreurs, ont quitté le pouvoir devant la manifestation souveraine d’un scrutin solennel et décisif. Les ministres, d’autant plus désintéressés qu’ils sont décidés d’avance à ne point s’associer à une semblable entreprise, les ministres ne pourront que montrer à la commission le dangereux effet de ce malencontreux procès au dehors, le retentissement qu’il va avoir dans le pays ; les