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son, à reconnaître les plus évidentes nécessités, et il se laissait aller à dire avec une bonhomie piquante : « Un homme de gouvernement doit avoir du bon sens, c’est la première qualité politique, et quand on a le bonheur d’en avoir, il faut une seconde qualité, c’est le courage de montrer qu’on en a. Dans les temps où nous vivons, ce que je dis a une grande portée. Il ne manque pas de gens de bon sens, cela n’est pas si rare, puisqu’on l’appelle le sens commun. Ce dont nous manquons, c’est de gens qui osent prouver qu’ils en ont. » Oui, assurément, ces paroles avaient une « grande portée, » comme tout ce que disait M. Thiers sur les majorités incohérentes, sur les ministères qui se laissent affaiblir, faute de décision, sur les mouvemens politiques qui tendent à dépasser le but, et la meilleure preuve que ces paroles avaient une « grande portée, » c’est qu’elles sont toujours vraies. Dans ces vieux discours, il y a comme une lumière qui se dégage et éclaire les affaires présentes.

Les circonstances peuvent changer en effet, l’essence des choses ne change pas autant qu’on le croit. Aujourd’hui comme autrefois il s’agit d’un grand mouvement politique à fixer dans ses vraies limites d’un gouvernement à fonder, de tout un ordre nouveau à inaugurer dans des conditions rassurantes pour le pays, et il ne faut pas s’y tromper, l’œuvre n’est pas plus facile aujourd’hui qu’il y a plus de quarante ans ; elle s’est compliquée au contraire de toutes les révolutions qui se sont succédé depuis près d’un demi-siècle et qui ont laissé des traces douloureuses dans notre histoire. À l’heure qu’il est, à ce moment où le régime ? républicain semble arrivé à une sorte de pleine possession de lui-même, le problème reste peut-être plus difficile que jamais. Les nouveaux satisfaits de la république, car la république a déjà ses satisfaits comme tous les régimes, n’ont pu pardonner, il y a quelques jours, à M. le ministre de l’intérieur d’avoir osé avouer qu’il y avait dans les esprits une certaine disposition au malaise, à une vague inquiétude, que rien ne justifiait et qui n’existait pas moins. Ils se sont récriés aussitôt en protestant qu’il n’y avait jamais eu un régime plus puissant et plus fort que celui qui est définitivement constitué depuis un mois. C’est possible, et peut-être les deux assertions, celle de M. le ministre de l’intérieur et celle de ses contradicteurs ne sont point absolument inconciliables. A la vérité, au premier aspect, cette situation qui a été créée a une certaine force ; elle a en sa faveur la légalité, l’accord au moins apparent des pouvoirs réguliers, la bonne volonté du pays qui ne demandé qu’à être dirigé et protégé dans son repos, dans ses intérêts. Ce n’est point dans tous les cas le caractère de M. le président de la république qui serait la faiblesse du nouveau régime et inspirerait de la défiance. Le ministère lui-même tel qu’il existe, avec des hommes comme M. Waddington, M. Léon Say, offre des garanties de prudente modération. Il y a donc des élémens de sécurité si on le veut. Et cependant M. le