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qu’on ouvre l’œil, toujours dans l’obscurité, et qu’on le regarde alors à la lumière, la rétine est d’un beau rouge, qui s’efface rapidement. Ce qui prouve que cette décoloration n’est pas simplement la conséquence de la mort, mais le résultat de l’action de la lumière, c’est qu’elle se produit déjà chez l’animal vivant. En effet, dans les yeux de grenouilles maintenues au grand jour, la pourpre rétinienne fait généralement défaut, on ne l’observe que si l’animal a été préalablement gardé à l’obscurité. La lumière détruit donc la pourpre visuelle ; mais, une fois détruite, celle-ci se régénère à mesure chez l’animal vivant. Éblouissez des grenouilles en les exposant au grand soleil, leur rétine est entièrement décolorée ; maintenez-les ensuite pendant une heure ou deux à l’obscurité, leur rétine sera d’un beau rouge ; c’est la preuve que la pourpre visuelle se régénère sous l’influence de l’obscurité.

Accordant un léger répit aux grenouilles, M. Boll répéta ses expériences sur des poissons, des mammifères, des amphibies, et il put se convaincre encore que ce n’est pointa la mort qu’il faut attribuer la décoloration de la rétine, mais toujours à la lumière. Il suffit en effet de garder des yeux morts à l’abri de la lumière pour qu’au bout de vingt-quatre heures on retrouve la pourpre rétinienne inaltérée. Il n’est même pas besoin d’une obscurité absolue : des yeux morts conservés à une faible lumière ne se décolorent que très lentement.

L’existence de la pourpre visuelle étant ainsi mise hors de doute, il restait à déterminer la véritable nature du phénomène. On pouvait supposer, d’une part, que la coloration était due à une substance particulière, contenue dans la couche des bâtonnets ; on pouvait aussi soutenir qu’elle résultait de phénomènes d’interférence que la structure des bâtonnets suffirait à expliquer. Les deux hypothèses étant également admissibles a priori, il a fallu recourir à des expériences très délicates pour résoudre la question. En faisant congeler la rétine, M. Boll n’a pu en détruire la couleur. Au contraire, l’éther, l’alcool, le chloroforme, la détruisent sans que pour cela le liquide employé se colore lui-même en pourpre ; la matière colorante, si elle existe, ne se dissout donc pas dans le liquide comme le font certaines couleurs qui ne mordent pas sur les substances qu’elles rencontrent. Enfin on peut faire disparaître la coloration par une simple compression de la rétine. Il y avait lieu de douter de l’existence d’un pigment particulier, quand M. Kühne, professeur de physiologie à l’université d’Heidelberg, parvînt à isoler la matière colorante des bâtonnets. Le liquide qui dissout le mieux le rouge rétinien est la bile de bœuf, pure et débarrassée de ses propres matières colorantes. En faisant digérer des rétines fraîches dans ce liquide, M. Kühne obtient une solution rouge-carmin que décolore la lumière. En la concentrant, on découvre un résidu constitué par la pourpre visuelle et par une substance chimique particulière, très