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que, sous le titre de la Folle querelle, en fit le médiocre et très envieux Subligny. Rappelons encore la préface de Britannicus et celle de Bérénice ; rappelons à l’égard de l’auteur d’Agésilas et d’Attila la vivacité d’impertinence de Racine et sa hauteur d’orgueil, mais rappelons aussi tant de mots blessans échappés à Corneille, et cette phrase, qu’il ne craignit pas de prononcer un jour en pleine Académie sur le Germanicus de Boursault : « qu’il ne manquait à cet ouvrage pour être achevé que de porter le nom de M. Racine. » Par malheur, on dirait que les ennemis de Racine ne sont pas tous morts avec lui. Jusque de nos jours on est volontiers injuste, injuste pour son œuvre, injuste pour sa mémoire. Et je sais tels écrivains qu’il ne faudrait pas pousser beaucoup pour qu’ils lui fissent un crime de sa conversion. Sans doute il eût mieux fait, comme cet inimitable artiste, vrai bohème du XVIIe siècle, franc égoïste d’ailleurs, que nous continuerons d’appeler « le bonhomme, » de ne se convertir qu’à son lit de mort, mais il crut qu’il était décent de ne pas attendre pour quitter le monde que le monde l’eût quitté. Peut-être qu’après tout ce n’est pas de quoi le honnir.

Il semblera que nous ayons, chemin faisant, oublié le livre dont nous avons mis le titre en tête de ces quelques pages. L’auteur, du moins, ne nous en fera pas le reproche. Il lui sera facile de reconnaître son bien et que nous n’avons guère fait que lui emprunter ses documens et ses idées, en appuyant sur quelques points et, je crois, en forçant un peu la note. Nous n’avons pas été plus hardi, à vrai dire, mais nous avons été moins prudent que lui. Ajoutons, pour être complet, que son livre, nouveau dans la forme, date au fond de quelques années déjà. C’était alors une thèse de doctorat, une de ces thèses comme on les aimait encore dans l’Université, que l’on choisissait de bonne heure, que l’on préparait avec amour, que l’on enrichissait à mesure des découvertes de la science ou de l’histoire. Ce n’était pas assez : si le livre réussissait, on le reprenait, on le refaisait, on le refondait, on y mettait à loisir son expérience de professeur et ses raffinemens de lettré. La thèse devenait ainsi, sur un point particulier de l’histoire littéraire, une étude que l’on n’abandonnait plus avant de l’avoir conduite à la perfection de son genre. Et l’on prenait sa place dans le cortège de quelqu’un de nos grands écrivains. M. Deltour l’a prise et ne la perdra pas. Et vraiment est-ce que cela ne valait pas bien mieux que de composer, comme celui-ci, des romans médiocres, ou comme tel autre qui nous est tombé sous la main et que nous ne nommerons pas, parce que déjà s’est-il peut-être repenti, de faire rimer idéal avec Saint-Graal, ou d’appeler Shakspeare, — dans la langue des dieux ! — L’insaisissable Atlas aux bonds cosmopolites.


F. BRUNETIERE.