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simple ? Et que l’on ne dise pas que ce soit hésitation ou timidité : si l’on y regarde de très près, non-seulement il ne manque pas de hardiesses dans Racine, mais on y découvrira quelques incorrections même qui, comme un bon nombre des incorrections que l’on reproche à Molière, procèdent presque toutes d’une constante préoccupation de la promptitude et de la presque familiarité de l’expression.

Corneille s’était formé à l’école du génie latin, Racine se forma à l’école du génie grec. De là ce penchant de Corneille à la déclamation, quelquefois à l’enflure ; de là chez Racine, au contraire, ce goût de la noblesse dans l’extrême simplicité. De là, chez Corneille, ce goût des actions implexes, où l’épisode complique l’épisode, où l’intrigue renaît en quelque sorte d’elle-même au moment que l’on croyait déjà toucher le dénomment ; de là cette respectueuse admiration de Racine pour la simplicité presque nue de l’antique. Il a plusieurs fois, en termes semblables, insisté sur cette simplicité. « Que faudrait-il pour contenter des juges si difficiles, demandait-il dans sa première préface de Britannicus ? Au lieu d’une action simple, chargée de peu de matière, et qui s’avançant par degrés vers sa fin… n’est soutenue que par les intérêts, les sentimens et les passions des personnages, il faudrait remplir cette même action de quantité d’incidens, d’un grand nombre de jeux de théâtre, d’une infinité de déclamations. » Et là-dessus on se rappelle de quel ton de juvénile arrogance il maltraitait l’Attila, l’Agèsilas, le Pompée même de Corneille. Il disait encore dans la préface de Bérénice : « Il y avait longtemps que je voulais essayer si je pourrais faire une tragédie avec cette simplicité d’action qui a été si fort du goût des anciens… Il y en a qui pensent que cette simplicité est une marque de peu d’invention. Ils ne songent pas au contraire que toute l’invention consiste à faire quelque chose de rien. » On le voit, c’étaient bien là deux manières d’entendre le théâtre et les lois de l’action dramatique. On le verra mieux encore si l’on relit les tragédies de la vieillesse de Corneille. Rien n’a plus contribué à égarer l’auteur d’Héraclius et de Nicom-de et de tant d’autres drames encore où les plus beaux vers et les belles scènes brillent dans l’obscurité de la plus laborieuse intrigue, que le propos délibéré de varier à tout prix les moyens dramatiques. Sous ce rapport, quoi de plus instructif et qui soit en même temps d’une bonhomie plus aimable que les Examens dont il a fait précéder la plupart de ses pièces ? « Voici, dit-il en présentant Nicomède au lecteur, une pièce d’une constitution extraordinaire ! » Visiblement, il se complaît au souvenir de cette « constitution extraordinaire. » Il en arrive même un jour jusqu’à tirer une gloire naïve de l’obscurité de son Héraclius. Il convient que le poème est « si embarrassé qu’il demande une merveilleuse attention ; » on s’est plaint de ce que « sa représentation fatiguait l’esprit autant qu’une étude sérieuse ; » pourtant il n’a pas laissé de plaire ; « mais je crois, ajoute-t-il avec un air de