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partage sous la garantie de la France, qui m’assurera à perpétuité la possession entière et tranquille de la Silésie contra quoscumque. — On voit qu’il avait pensé à tout, pourvu d’avance à tous les futurs contingens ; les politiques réalistes n’oublient jamais rien.

Certains ministres entreprenans ont eu quelque peine à faire goûter leurs projets à leur souverain, ils ont dû raisonner longtemps avec lui « avant de le décider à passer le Rubicon. En 1740, c’était le roi de Prusse qui raisonnait avec ses ministres pour leur mettre l’esprit et la conscience en repos. Il leur rappelait « que la Silésie était, de toute la succession impériale, le morceau sur lequel il avait le plus de droits, » et qu’au demeurant ses troupes étaient bien supérieures à celles de ses voisins. Il leur représentait qu’il n’y avait pas une heure à perdre, que, si on laissait à la Saxe le temps d’ouvrir les premières hostilités, on ne pourrait l’empêcher de s’agrandir, ce qui était contraire à tous les intérêts de l’état. Il leur représentait aussi que, l’Angleterre et la France étant brouillées, l’une ou l’autre lui offrirait toujours une bonne alliance, que l’Angleterre ne saurait être jalouse de son acquisition, que la Hollande la regarderait d’un œil indifférent, pourvu qu’on garantît aux négocians d’Amsterdam les capitaux qu’ils avaient prêtés sur la Silésie, qu’au surplus, si on ne trouvait pas son compte avec l’Anglais, on le trouverait sûrement avec le cabinet de Versailles. Restait la Russie, mais la Russie ne l’inquiétait pas. « Si l’impératrice vit, disait-il, le duc de Courlande, qui a de très riches terres en Silésie, me ménagera pour se les conserver, et de plus il faut faire tomber parmi les principaux du conseil de la pluie de Danaë, qui les fera penser comme on voudra. Si l’impératrice est morte, les Russiens seront si occupés de l’intérieur de leurs affaires qu’ils n’auront pas le temps de penser aux étrangères, et en tout cas, faire entrer un âne chargé d’or à Pétersbourg n’est pas une affaire impossible. »

L’essentiel était de tenir toutes les puissances en suspens et dans le doute, afin qu’elles laissassent faire le coup, se flattant toutes également d’y trouver leur compte. Frédéric eut à ce sujet avec son ministre d’état Podewils un entretien écrit qui ne manque pas de piquant. Podewils lui demandait si, toutes les dispositions étant prises pour envahir la Silésie, il convenait que Borcke, ministre de Prusse à Vienne, expliquât au cabinet autrichien les motifs de cette entrée en campagne. — Oui, répond le roi, et il doit dire que c’est par amitié. — Podewils demande encore si, dans le cas où la cour de Vienne se prêterait de bonne grâce à céder la Silésie, on doit lui promettre de la secourir contre tous ses ennemis et combien d’argent il faut lui offrir. Le roi répond : — Il faut marchander jusqu’à deux millions tout au plus. — Podewils désire savoir s’il convient de communiquer aux puissances maritimes les propositions faites à l’Autriche, pour les porter à presser la cour de Vienne