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entre la démocratie et la royauté ? Les Anglais comprennent l’intérêt qu’ils ont à favoriser leurs sujets de race latine, car, si l’élément germanique devenait prédominant, le Canada n’aurait plus sa raison d’être, et finirait vraisemblablement par se fondre avec les États-Unis.

Les amateurs de couleur locale liront avec intérêt le tableau vif et animé des plaisirs canadiens : montagnes russes vertigineuses, courses de traîneaux, illuminations et bals sur la glace, où les jeunes gens et les jeunes filles luttent de grâce et de hardiesse en patinant aux accens aimés du God save the Queen. Le sport offre en Amérique un attrait tout particulier, et notre voyageur s’y livre avec un véritable enthousiasme. Çà et là, le terrible ours des Montagnes-Rocheuses, l’alligator, le caribou, le moose, le wapiti, une foule d’amphibies, de quadrupèdes et d’oiseaux variés à l’infini, tombent sous le feu meurtrier de sa bonne carabine anglaise (express rifle) sur laquelle seule il doit compter pour se nourrir, lui et son monde, dans les solitudes brûlantes ou glacées qu’il traverse, non sans courir de sérieux dangers. Tantôt ce sont de rudes expéditions au milieu des neiges, ou les péripéties émouvantes d’une longue et périlleuse navigation en pleine région sauvage, dans de frêles bateaux d’écorce dont il faut sans cesse faire recoudre les accrocs et repriser les avaries par des squaws rencontrées au hasard du chemin. L’équipage, composé de Peaux-Rouges, fait des prodiges de vigueur et d’adresse à travers les rapides et les cataractes ou sur les grands lacs soulevés par la tempête comme la pleine mer. M. de Turenne dut souvent payer de sa personne et mettre la main à la pagaye, à la hache ou à la cuisine. Tantôt ce sont des courses vertigineuses à travers la prairie immense et déserte. A peine si quelques troupeaux de buffalos viennent rompre la monotonie du paysage. Parfois pourtant on remarque une animation inaccoutumée : c’est un homme qu’on vient de pendre au nom de la loi de Lynch.

Dans une petite station écartée, à Nevada-City, on montre à M. de Turenne certaine carabine célèbre, pompeusement exposée à la vénération publique, et son non moins illustre propriétaire qui l’un portant l’autre ont accompli un exploit mémorable. Le courrier des dépêches avait été dévalisé par une bande de ces brigands qui sont étonnamment nombreux et hardis aux États-Unis. Le citoyen Vénard et quelques camarades se mettent chacun de leur côté à la poursuite des malfaiteurs. Tombant seul à l’improviste sur les trois voleurs occupés à se partager le butin, Vénard n’hésite pas à les attaquer ; il en tue deux raide de deux balles au front, blesse le dernier d’un troisième coup, et redouble pour l’achever. « Une seule balle insuffisante sur quatre, c’est d’un bon tireur, monsieur, »