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Nouveau-Monde, ou nous faire admirer les scènes grandioses de la nature sauvage.

Sans scruter les situations, ni creuser les questions politiques, il excelle à rendre par des analyses sobres et précises les sentimens généraux du gros public, comme ceux des hommes éminens du pays. A l’occasion, il n’hésite pas à formuler ses aperçus personnels ; ce qui ressort de ses appréciations sur les États-Unis actuels, pris entre l’enclume et le marteau d’une corruption sans bornes et d’une réforme aussi impossible qu’indispensable, n’est pas précisément fait pour séduire. Son âme droite est révoltée par les scandales de tout genre dont la vie politique américaine offre un spécimen assez complet, et il ne dissimule pas son dégoût pour les détails peu attrayans de la cuisine électorale ; d’ailleurs, sur ce point, les citoyens des États-Unis sont plus sévères que personne. En assistant à la représentation d’un drame local, le Dieu dollar, notre voyageur constate avec quelle ironie acerbe les Américains ne craignent pas de se dénigrer eux-mêmes. Ce n’est pas tout à fait la république athénienne, et il y manque Aristophane entre autres ; mais les mœurs politiques et les institutions sont violemment attaquées en plein théâtre, sans que les spectateurs en paraissent aucunement choqués.

Toujours impartial malgré sa sévérité, l’auteur se plaît à reconnaître en mainte page les grands côtés de cette société jeune et énergique. Son livre, où les détails économiques et statistiques sont accumulés, donne bien l’idée de cette exubérance de vie qui se manifeste de toutes parts aux États-Unis. Selon les hasards du voyage, le lecteur voit défiler devant lui toutes les applications de l’industrie humaine audacieusement poussée jusqu’à ses dernières limites : immense réseau de chemins de fer courant hardiment à travers les solitudes et les chaînes de montagnes réputées inaccessibles ; usines colossales, docks aussi vastes que des villes, journaux assez riches et assez puissans pour expédier d’un signe leurs reporters, comme le célèbre Stanley, à travers des mondes inconnus ; montagnes pleines d’or ou d’argent qui sont battues en brèche, culbutées et désagrégées à l’aide de gigantesques jets d’eau dirigés horizontalement sur elles par des appareils comparables à d’énormes pompes à incendie, sorte d’artillerie hydraulique irrésistible alimentée par des fleuves et des lacs entiers, que l’on a amenés de très loin dans des conduits en planches larges comme des rivières. Aux riches cultures de coton qui font l’opulence des planteurs seigneuriaux du sud, succèdent sous nos yeux les exploitations des rois du pétrole, ou les comptoirs des merchant princes de New-York, dont les fortunes s’évaluent par centaines de millions.

Tout est taillé dans le grand aux États-Unis, et la propriété