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commandement qui ne saurait se relâcher sans risquer de perdre son prestige. A un certain degré, l’habit fait le moine, en Orient du moins ; car c’est toujours par les changemens du costume que les révolutions dans les mœurs ont commencé.

Rien n’est négligé par les conquérans de ce qui peut assurer leur cohésion et consolider leur empire. Fort libéraux chez eux, les Anglais, aussi bien que les Américains et les Hollandais, se montrent très autoritaires dans leurs possessions coloniales. Jamais la presse locale n’y discute les questions pendantes qu’au point de vue exclusif des intérêts de la mère patrie. Les colonies sont considérées uniquement comme des territoires et des populations à exploiter au profit de la métropole. Un exemple entre autres : la Birmanie indépendante, qui n’a guère de l’indépendance que le nom, possède des mines abondantes dont la mise en valeur enrichirait le pays. Mais l’Angleterre a jeté son dévolu sur cette contrée limitrophe de ses domaines ; c’est une proie destinée à tomber tôt ou tard entre ses mains. Aussi pour éviter que les mines ne soient concédées à des compagnies étrangères, elle a pris soin de s’opposer à l’entrée de toute machine en Birmanie. Le pays restera pauvre jusqu’à ce que les Anglais, l’ayant annexé, en utilisent à leur profit les richesses.

Assurément au point de vue philosophique et chrétien, une pareille politique peut sembler étroite, mais au point de vue du savoir-faire pratique, des intérêts mercantiles et du patriotisme national, nul n’en saurait nier l’incontestable et lucrative habileté. On objectera peut-être que l’application rigoureuse de ce système a coûté à l’Angleterre ses colonies d’Amérique au siècle dernier ; mais la différence est capitale. Les colons américains étaient des Anglais qui, possédant les dons et les traditions de la race, ne devaient pas se laisser exploiter sous prétexte qu’ils habitaient au-delà de l’Atlantique. Partout où il va, l’Anglo-Saxon emporte avec lui sa nationalité et ses droits. Armé de son Habeas corpus, il sait réclamer et défendre en tous lieux ses privilèges. Civis romanus sum ! Aussi pour les colonies peuplées par ses nationaux ou par des Européens, l’Angleterre, profitant de la leçon, a-t-elle adopté depuis lors un régime très libéral, comme en Australie et au Canada ; mais elle ne fait pas de philanthropie cosmopolite, et si à ses yeux les Indiens sont encore des hommes, elle n’entend nullement les traiter en frères.

L’unité de vues, le concours de toutes les intelligences et de toutes les bonnes volontés sont d’ailleurs plus que jamais nécessaires aujourd’hui que l’Angleterre se trouve exposée à entrer en lutte ouverte avec la Russie en Orient. Quel rôle joueraient les indigènes dans ce conflit menaçant ? Ils n’ont pas plus de sympathie pour l’une de ces puissances que pour l’autre, car toutes les deux