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on est libre de les en croire, mais les traits précis de Gerlache nous peignent suffisamment le prélat oriental, bon, faible, d’humeur lymphatique, sous sa physionomie paisible de béatifié.

II.

Tel était l’homme qui s’assit, le jour de l’Ascension de l’année 1572, sur le trône pontifical, et que le peuple orthodoxe de Constantinople vint « adorer, » suivant la formule consacrée, avant de recevoir de lui la bénédiction œcuménique. Tel était le prélat qui allait présider aux destinées de l’église d’Orient durant l’heure de crise profonde que traversaient et l’Orient et les églises de toute la chrétienté. L’année précédente, l’islam avait reçu le premier grand coup au cœur : les échos du canon de Lépante réveillaient sur les côtes asservies des mers de Grèce et d’Asie d’indomptables espérances ; les raïas, connaissant mal l’Espagnol, tout-puissant mais tout catholique, de l’Escurial, rêvaient d’une croisade victorieuse et voyaient déjà l’épée de don Juan affranchissant les églises-mères du monde oriental ; ils se seraient volontiers écriés, comme Pie V en recevant la nouvelle de Lépante : « Un homme fut envoyé de Dieu dont le nom était Jean ! » Par un retour naturel, les Turcs, sentant frémir sous leur main les élémens chrétiens, se tenaient prêts à d’implacables répressions. Tandis que l’église d’Orient était menacée par la colère de ses maîtres, l’église d’Occident passait par l’angoisse de la réformation ; le concile de Trente venait de se clore, ayant touché à tous les points de foi sans parvenir à pacifier les consciences ; Sixte-Quint, malgré sa fermeté et ses lumières, s’apprêtait à jeter sa béquille pour jouer et perdre la dernière partie du génie romain contre le génie anglo-germanique ; des cendres de Luther et de Calvin naissaient mille sectes bizarres ou inquiétantes, en Italie, en France, en Suisse, aux Pays-Bas, dans la malheureuse Allemagne surtout, où le Palatinat changeait quatre fois de religion en quinze ans. Jamais, depuis les barbares, l’Europe n’avait été aussi violemment secouée, toute en proie aux colères, aux souffrances, aux flots de sang, qui sont l’inévitable rançon de toute grande transformation de la conscience humaine. — Quand Jérémie vint faire, selon l’usage, sa visite à l’ambassadeur de France, dans cette même année 1572, il put apprendre de sa bouche ce qu’avait été la Saint-Barthélemy, et comment l’empire des sultans n’avait pas le monopole des épisodes tragiques.

Par une singulière destination de la fortune, le nouveau patriarche d’Orient devait être mis en demeure, dès le début de son pontificat, de prendre parti entre les deux camps religieux qui se