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de Tauroentum, — ensablement du port par les apports des torrens, destruction des promontoires de Saint-Louis et de Baumelles par les coups de mer, comblement naturel de la baie, ensevelissement de la plage sous les dunes mouvantes, dévastations successives par les barbares et les indigènes, — et que nous pourrions appeler des causes superficielles et locales, ne soit venue se joindre une cause première et générale d’un effet beaucoup plus lent sans doute, mais beaucoup plus puissant.

Tout porte à croire que le sol de Tauroentum, comme celui de Pouzzoles, a éprouvé quelques-uns de ces imperceptibles tressaillemens qui ont pour conséquence de soulever peu à peu toute une partie de la côte, tandis que la partie voisine s’abaisse en proportion au-dessous du niveau primitif ; il est même probable qu’il y a eu sur le même point une série d’oscillations, une suite d’abaissemens et d’exhaussemens qui ont tour à tour noyé la ville et asséché le port, et cette hypothèse est ici d’autant plus rationnelle qu’on peut en vérifier les conséquences sur un assez grand nombre de points de la côte occidentale de la Méditerranée.

Quoi qu’il en soit, la ville, le port, l’acropole n’existent plus, et c’est à peine si quelques arrachemens de murs antiques, des socles et des colonnes enterrés, et quelques lignes dentelées de fondations et de soubassemens révèlent la présence de l’ancienne colonie. La mer a noyé la plus grande partie de la ville basse dont on voit encore les vestiges sous les eaux ; tout le reste est enseveli sous le blanc manteau des dunes mouvantes qui se déroulent comme les vagues d’une autre mer implacable, et il n’est peut-être pas au monde de cité antique qui ait laissé moins de traces apparentes et à laquelle on puisse mieux appliquer la triste lamentation du poète : etiam periere ruinœ ! ..

Perdue au fond du golfe des Lèques, isolée de toute voie de communication régulière, l’ancienne colonie gréco-romaine mérite à peine aujourd’hui la visite de ceux qu’anime le goût des recherches archéologiques. Le touriste ne la connaît pas, et rien ne saurait plus l’y attirer. Il est juste cependant de lui donner un souvenir en passant auprès d’elle.

Lorsque le chemin de fer, après avoir franchi les trois souterrains percés au travers de la chaîne de montagnes qui séparent la vallée de l’Huveaune de la mer, débouche brusquement sur le versant méridional du golfe de la Ciotat, les yeux éblouis embrassent avec un indicible ravissement l’admirable horizon qui s’étale de tous côtés. Le petit massif rocheux de l’Ile-Verte se détache peu à peu de la côte. Le Bec-de-l’Aigle se présente alors sous son angle le plus aigu, surplombe la mer, comme un éperon qui menace de ressaisir l’îlot rebelle qui vient de s’échapper du continent. Tout