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continue à s’appeler plan de la mar en souvenir de l’ancien état marécageux de la plaine, aujourd’hui émergée et surexhaussée ; Il est constant d’ailleurs que le cap Saint-Louis, qui termine du côté du nord le golfe des Lèques, avait autrefois une saillie beaucoup plus accentuée et s’avançait davantage au large dans la direction du promontoire de Baumelles qui lui fait face, ainsi qu’on peut facilement le reconnaître par les hauts fonds et les débris de rochers qui sont perdus en mer en avant de ce cap.

Le petit golfe des Lèques était donc dans les temps anciens beaucoup mieux protégé qu’aujourd’hui contre la violence des vents dominans qui soufflent du côté de la terre, depuis le nord-est jusqu’au nord-ouest. D’autre part, il était aussi beaucoup mieux abrité des vents du large par le rocher auquel était adossée la ville de Tauroentum et dont l’écroulement séculaire a non-seulement entraîné la ruine d’une partie de la citadelle et des principaux édifices qui se trouvaient au-dessous, mais a eu encore ce résultat néfaste d’amonceler à l’entrée du port une quantité énorme de débris qui ont contribué à son obstruction. La situation nautique a donc notablement empiré ; la rade est plus ouverte à la grosse mer, beaucoup plus battue des vents ; la profondeur a diminué, le mouillage est moins sûr. Les dépôts de terre et d’alluvions ont encombré le bassin intérieur qui constituait le port et ont lentement déterminé la formation d’une plaine marécageuse, qui s’est peu à peu desséchée et exhaussée. L’agriculture a fini par conquérir cet ancien domaine maritime et a pris possession des bas-fonds de ces étangs. Il s’est formé par suite sur la plage un petit appareil littoral, composé de dunes d’une extrême mobilité et oscillant presque sur place sous la double impulsion des vents de terre et des vents de mer. Les arbustes, les arbres même ont été recouverts par ce sable mouvant, et le sol antique a fini par disparaître d’une manière complète.

Ce n’est pas encore tout. Lorsqu’on examine le territoire de Tauroentum au point de vue géologique, on voit qu’il se trouve précisément situé à la limite des terrains crétacés et des terrains jurassiques correspondant à deux âges différens dans la chronologie de l’écorce terrestre. Il y a là comme une sorte de coupure et de dislocation, et la ligne séparative des deux terrains forme un thalweg, sillonné jadis par les cours d’eau qui venaient aboutir dans le golfe de Tauroentum. Ce thalweg a été remblayé par les alluvions, et le sol a été nécessairement exhaussé de toute la quantité des matières que les torrens ont charriées dans le golfe ; mais il est fort probable aussi que le relief de la côte a éprouvé d’autres changemens de niveau dus à des causes différentes et d’une importance bien autrement considérable.

On sait en effet que l’écorce terrestre, qui n’est peut-être qu’un