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pour la controverse, la moindre pierre d’achoppement. Le rivage reprit sa nudité rocailleuse des jours de la création.

« On montre aujourd’hui à Tauroentum l’absence complète de trois temples, de deux thermes, de deux promenoirs comme les aimait Martial, d’un cirque orné d’obélisques sur son épine et d’un camp prétorien. Le visiteur ouvre de grands yeux et voit deux douaniers assis sur douze arpens de néant pétrifié.

« Ainsi les ruines mêmes s’effacent partout dans le monde des vieux monumens. Nous avons soin toujours de mettre ces grandes dévastations sur le compte du temps rongeur dont la faux est impitoyable. Cela nous décharge de toute responsabilité. Le temps n’est pas si destructeur qu’on le dit ; et, si l’homme n’entrait pas en collaboration avec lui dans son œuvre de ravage, beaucoup de saintes pierres seraient encore debout. En Provence surtout on devrait renoncer à peindre le temps avec ces vieux attributs mythologiques ; ce dieu doit être représenté avec l’habit vert et le sabre du douanier. »

Méry avait trop d’esprit pour être un fervent archéologue ; à tout prendre, il n’avait pas tout à fait tort, et il est certain que les ruines abandonnées à elles-mêmes se maintiendraient presque indéfiniment. Les paysans, sinon les douaniers, ont été pendant près de huit siècles les pires Sarrasins de la Provence ; ils ont incendié des forêts entières sous prétexte de donner à paître à leurs troupeaux, démoli des pans de murs antiques et ruiné des monumens presque debout pour y prendre des matériaux nécessaires à la construction de leurs maisons et à la clôture de leurs champs ; le petit hameau de Saint-Cyr en particulier et le village de la Cadière, qui ont été le refuge des Tauroentins harcelés par les barbares, sont entièrement bâtis avec les débris de l’ancienne colonie grecque, de sa citadelle, de ses temples et de ses quais.

Mais d’autres causes ont contribué à la destruction complète de la ville. Tous les ruisseaux des environs, sur une étendue de plusieurs lieues, venaient autrefois se jeter dans le port de Tauroentum, qui formait, comme nous l’avons dit, un enfoncement profond dans l’intérieur des terres et dont on a retrouvé des vestiges jusqu’aux abords du hameau de Saint-Cyr.

La disparition des forêts qui couvraient autrefois les sommets aujourd’hui dénudés des collines de la Cadière et de Conil a modifié le régime de ces cours d’eau ; ils se sont peu à peu transformés en torrens et charrient, pendant l’hiver et après les orages, une quantité considérable de sédimens et de graviers. Ces terres transportées ont fini par constituer la plaine d’alluvions que nous voyons aujourd’hui ; et on trouve dans les actes du XVe et du XVIe siècle la désignation de plan de la marine donnée à cette partie de la côte, qui