Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 32.djvu/170

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Marseille était la métropole de toutes les colonies phocéennes ; ce n’était pas une mère, c’était seulement une sœur aînée, riche, puissante, aimée, respectée, dont on reconnaissait la bienveillante tutelle, sans que cette tutelle ait jamais dégénéré en un despotisme dont on n’aurait point consenti à supporter le joug.

Cette ligue défensive était d’ailleurs bien nécessaire en présence des barbares ligures et salyens qui occupaient presque tout le territoire, et Tacite nous représente toutes ces colonies grecques comme de véritables villes fortes dominant par leurs citadelles tout le pays ennemi. Leur alliance dura plus de cinq siècles et ne fut brisée que par la prise de Marseille et la conquête définitive des Gaules par les armées romaines. Tauroentum dut subir le sort de la grande ville phocéenne qu’elle avait soutenue de ses vaisseaux, et ce que César appelait son château, Castellum massaliensium, c’est-à-dire la partie supérieure et fortifiée de la cité, fut occupé par Décimus Brutus après la victoire qu’il remporta sur la flotte gréco-pompéienne dans les eaux du golfe des Lèques.

La chute de Marseille entraîna donc celle de Tauroentum, et alors commença la transformation de la colonie exclusivement grecque en ville gréco-romaine. La plupart des monumens dont nous avons décrit les ruines datent de cette époque. Ce fut pour Tauroentum la fin de la liberté et probablement le commencement de l’opulence, si l’on en juge par l’énorme quantité de marbres rares et précieux et les débris de colonnades et de mosaïques, indices certains d’un grand luxe et d’une civilisation assez raffinée. Combien de temps dura cette seconde période ? Nul ne saurait le dire. A partir de l’origine de notre ère, Tauroentum n’a plus d’histoire et ne paraît avoir été qu’une ville de plaisance, résidence de quelques familles patriciennes, dont les villas somptueuses s’étendaient assez loin dans les terres ; son nom seul est inscrit dans l’itinéraire maritime de l’empire, et elle ne figure que comme station officielle de la flotte romaine.

Il est encore plus difficile de déterminer, même d’une manière approximative, l’époque de sa destruction ou de sa disparition. Rien dans l’histoire romaine, dans celle des Gaules ou de la Provence, n’indique la révolution qui mit fin à son existence. Les plus laborieuses recherches ont été vaines. Quelques auteurs modernes, ne sachant comment expliquer l’état de désordre dans lequel se trouve la plage des Lèques, ont imaginé que la ville s’était effondrée à la suite d’un cataclysme subit. Le comblement du port, très reculé dans l’intérieur des terres et encombré de sables et d’alluvions, semble prouver en effet un exhaussement de la côte, tandis que la présence de substructions romaines, encore noyées sous l’eau à quelques mètres du rivage, indique un abaissement du sol et une