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comme une plaine où l’on combat de pied ferme. Ce n’est plus le javelot, ce n’est plus la flèche qu’on lance ; on se joint, on croise les armes, on se bat l’épée à la main. Une écume rougeâtre couvre les ondes, et les flots se caillent sous un manteau de sang. »

Dans cette lutte corps à corps, Brutus courut un instant le plus grand danger. Deux trirèmes massaliotes, ayant reconnu le pavillon de la galère prétorienne, se lancèrent sur elle des deux côtés. Le pilote de Brutus n’eut que le temps d’éviter le choc, et les deux navires assaillans se heurtèrent avec tant de violence que l’un brisa son éperon et fut à moitié détruit, et que l’autre resta engagé et fut tout à fait désemparé. Les vaisseaux ennemis leur coururent sus et purent les couler bas sans résistance. La flotte pompéienne ne rendit d’ailleurs que peu de services et se retira du combat au plus fort de la lutte. Les hommes qui la montaient semblaient peu soucieux d’affronter la mort pour une cause où ils ne voyaient directement engagé ni le salut de la patrie, ni celui de leurs familles. A côté d’eux cependant les Grecs mouraient en héros ; la victoire resta longtemps indécise, et il est fort probable que Brutus aurait été battu si les marins de Nasidius avaient été aussi braves qu’on était en droit de l’espérer dans des circonstances où les Massaliotes souffraient pour un simple allié tous les malheurs de la guerre. Mais Nasidius, soit par lâcheté, soit par trahison, quitta brusquement le champ de bataille. Son départ fut le signal d’une déroute complète ; la plupart des galères grecques furent capturées ou coulées, et celles qui purent regagner le port de Massalia y répandirent la consternation. Brutus vainqueur commença d’abord par s’emparer de la ville de Tauroentum et fit occuper l’acropole ; puis il suivit les navires fugitifs jusqu’au devant de Marseille. Le siège touchait à sa fin. La ville était depuis plusieurs mois serrée de près du côté de la terre par les légions de Trebonius. Le port était bloqué ; on arrivait aux dernières limites de la résistance, et quelques jours suffirent pour attacher désormais aux destins de Rome la plus puissante des colonies grecques de notre littoral.


II

Ce qui reste aujourd’hui de Tauroentum est si peu apparent qu’il était absolument nécessaire de mentionner ces textes pour préciser l’existence et l’emplacement indiscutable de l’ancienne ville gréco-romaine. Le touriste qui parcourt aujourd’hui le golfe des Lèques n’aperçoit en effet rien qui lui rappelle le passé ; l’archéologue le mieux prévenu lui-même, — et l’on sait que les savans se contentent souvent de peu, — distingue à peine sur le rocher des ruines très confuses de murs écroulés, quelques arrachemens qui