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choc fut terrible, et les détails de cette bataille mémorable nous ont été transmis dans un langage très coloré par le poète Lucain, presque toujours exact comme historien et particulièrement précis dans cette partie de la guerre civile dans les Gaules.

« Le jour, dit-il, venait de se lever ; le soleil naissant projetait sur la mer ses rayons brisés par les vagues ; le ciel était sans nuages ; le calme de l’air semblait avoir aplani les flots comme pour offrir aux combattons un théâtre immobile. Tout à coup chaque navire s’ébranle et quitte son mouillage, et on voit s’avancer d’une égale impétuosité les galères de Massalia et celles de César. Les rames les font tressaillir de leurs coups redoutables et emportent leurs nefs superbes.

« La flotte romaine se range en forme de croissant ; aux deux extrémités se placent les puissantes trirèmes et les galères surmontées de quatre rangs de rameurs ; les plus faibles garnissent le centre. Au milieu de la flotte et au-dessus d’elle s’élève comme une tour la poupe du vaisseau prétorien ; ses longs avirons s’étendent au loin sur les eaux, et six rangs de rameurs tracent de chaque côté un large et profond sillon.

« Dès que les flottes ne sont plus séparées que par l’espace qu’un vaisseau peut parcourir d’un seul coup d’aviron, des cris innombrables remplissent les airs, et l’on n’entend plus à travers ces clameurs ni le bruit des rames ni le son des trompettes. La mer blanchit d’écume, et les rameurs, renversés sur leurs bancs, balaient les eaux bleues en frappant leur poitrine des leviers qu’ils ramènent.

« Les proues se heurtent ; les vaisseaux virent de bord ; une volée de traits obscurcit l’air et couvre bientôt en tombant l’espace vide de la mer. Les deux flottes se déploient de nouveau, et les vaisseaux divisés se donnent un champ libre pour le combat… ; mais les navires des Grecs étaient plus propres à l’attaque, plus légers à la fuite, plus faciles à ramener par de rapides évolutions, plus dociles surtout au gouvernail ; ceux des Romains, au contraire, d’une structure plus lourde, présentaient un plancher plus stable, un vrai champ de bataille, tel que la terre peut en offrir.

« Alors Brutus, assis sur sa poupe magnifiquement sculptée, dit à son pilote : — Nous promènerons-nous longtemps encore, et veux-tu lutter d’adresse et de vitesse avec eux ? Fais-nous joindre ces gens-là, ramasse nos forces, et que nos vaisseaux présentent le flanc à leurs éperons. — Le pilote obéit, et le combat change. Dès lors chaque vaisseau qui, de sa proue, heurte le flanc des vaisseaux de Brutus, y reste attaché, victime de son choc et retenu captif par le fer qu’il enfonce. D’autres sont arrêtés par des grappins de fer et par des chaînes ; leurs rames s’embarrassent, et la mer devient