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l’appareil des pompes d’autrefois et comme une majesté raidie sous les injures du temps. Le pontife est assis sur un trône antique, sauvé du grand naufrage ; les diacres placent sur ses épaules la tunique de brocart à fleurs d’or, ouverte sur les côtés comme aux premiers âges, et rattachée par des grelots en souvenir de celle d’Aaron ; ils apportent le pallium, tissu d’argent, où sont enchâssées les saintes reliques, la croix pastorale en pierres précieuses, la pateritza, bâton terminé par deux serpens en forme de caducée, qui tient lieu de la crosse catholique. Enfin le patriarche coiffe la splendide tiare d’émail, ornée des portraits des douze apôtres et de la croix en diamans ; au sommet, par une suprême et poignante dérision, étincelle l’aigle en brillans, l’aigle impériale, l’aigle de Constantin, étreignant le globe dans ses serres ; souvenir jaloux et symbole inoffensif d’un empire confiné aujourd’hui entre les quatre murs de l’humble basilique. Les archevêques suffragans entourent leur pasteur, revêtus d’anciens costumes d’une richesse éblouissante ; les diacres les suivent, en robe noire, leurs longs cheveux épars sur les épaules. Les chants retentissent, l’office commence suivant la liturgie traditionnelle ; en regardant, aux lueurs des cierges et dans les fumées de l’encens, ces prélats aux traits archaïques, immobiles sous leurs robes d’or et leurs longs voiles de deuil, on croit voir les effigies des vieux patriarches béatifiés, descendues de l’iconostase où le pinceau des Byzantins les a fixées. Par un de ces phénomènes d’assimilation que la physiologie reconnaît sans pouvoir les expliquer, ces figures d’une majesté hiératique et glacée se sont modelées, semble-t-il, sur le relief des saints qu’elles contemplent habituellement. Tout ici parle de constance et d’immutabilité, tout repousse la pensée en arrière. Au dehors, loin de ce lieu, des choses ont pu passer, l’état politique et social, les mœurs, les idées, les races ont pu se modifier ; mais ici nous sommes au lendemain. de la grande catastrophe. Ce vieux prêtre ignore les quatre siècles de conquête musulmane, pas un pli n’est changé à sa tunique, pas une syllabe à son livre, pas une note à son chant ; tandis qu’un zaptié turc monte la garde à sa porte et que le muezzin jette son appel traînant du minaret voisin, lui, replaçant sur son front la tiare à l’aigle double, bénit son peuple et croit à son autorité comme à sa bénédiction. Il écrit à Chalcédoine et à Éphèse, — noms qui ne vivent plus que pour lui, — comme aux jours des grandes assemblées œcuméniques ; il tient pour un espoir avéré que son héritier et Les héritiers de son héritier poursuivront la tradition séculaire, sans changer ni périr, longtemps après que le dernier Osmanli dormira sous les cyprès d’Eyoub. — On contemple cette exception aux lois mobiles du monde, ces hommes, cette langue, ces