Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 32.djvu/126

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

encore tendres à la dent, sont saines et nourrissantes. Plus tôt, trop aqueuses, elles sont un aliment peu vigoureux et purgatif ; plus tard, elles deviennent coriaces et aigres en pourrissant sur place. Les taons, ce fléau du bétail, qui dans le désert s’abattent sur lui par nuées et l’épuisent, ne feront leur apparition qu’à l’entrée de l’été. Les lacs, pleins jusqu’aux bords, invitent à se baigner, et ces bains fréquens valent l’étrille pour rendre le cheval dispos. Si l’animal à cette époque peut rester au pâturage pendant la nuit, dont la fraîcheur modérée lui ouvre l’appétit, on le voit engraisser à vue d’œil. Depuis le fossé, qui mettait en avant des chevaux en liberté une barrière difficile et périlleuse à franchir, on pouvait presque partout leur laisser passer la nuit dehors.

C’était là un avantage indirect du fossé et le plus secondaire assurément de ses mérites. Ce fossé, que les partisans quand même des erremens anciens avaient fait de si ingénieux efforts pour rendre plaisant, on voyait maintenant ce qu’il valait. C’était lui qui nous permettait d’aller allègrement en finir avec Catriel en attendant que vînt le tour des autres caciques ses confrères. C’était lui qui nous les livrait. Sans lui, c’eût été une imprudence de détacher deux cents hommes d’une frontière qui n’en avait pas tout à fait cinq cents pour garnir un front de vingt lieues. C’eût été une imprudence bien plus grande de la priver pendant plusieurs jours de ses meilleurs chevaux, et de réduire, en cas d’invasion, les garnisons des fortins au rôle maussade de spectateurs tandis que les sauvages franchiraient au galop une ligne ouverte. Un mécompte de ce genre advint il y a peu d’années à un général, qui voulut cavalièrement se lancer à l’attaque avant d’avoir bien assuré sa ligne de défense. Pendant qu’il marchait sur les toldos, les Indiens, ignorant ses projets, se dirigeaient de leur côté vers les établissemens de l’intérieur, qu’ils eurent tout loisir de saccager à fond, n’étant inquiétés par personne. Les horribles dégâts qu’ils commirent ne trouvèrent qu’une compensation dérisoire dans la prise de quelques femmes et la mort de quelques valétudinaires qui n’avaient pu suivre l’invasion. Encore dans ces occasions les prises n’étaient-elles pas très nombreuses. Une famille indienne avait, en ce temps-là, nuit et jour, à l’attache, de bons chevaux tout prêts en cas de surprise. Une tribu attaquée se dispersait comme une bande d’oiseaux effarouchés. Il n’en va plus de même depuis que la ligne avancée a été garnie d’un retranchement. Cette abondance de chevaux, seul luxe des Indiens, mais luxe utile et des plus fâcheux pour nous, a disparu. Ceux que nous leur prenions dans les derniers temps étaient ruinés, et, la détresse aidant, les sauvages commençaient à manger les derniers qui leur restaient : c’était renoncer à l’espoir de s’en