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remplacer à la frontière côté sud le commandant Maldonado, malheureusement tombé malade au bon moment. Il n’aurait pu imaginer, si on lui avait laissé le choix, une manière plus satisfaisante de prendre possession de son nouveau poste. Pour moi, qui, le fossé fini, étais sur le point de rentrer dans la vie civile et civilisée, je trouvais cet épilogue de ma longue campagne plein de saveur. Vraiment j’aurais cru n’avoir rien vu de la frontière et ne pas savoir le premier mot de ce qui la concerne, si je n’avais pas pris part à cette expédition, aussi nouvelle en son genre que toutes les nouveautés que nous avions vaillamment exécutées depuis dix-huit mois.


I

La nuit du 9 novembre 1877, qui avait été fixée pour notre départ, était à souhait pour se mettre en campagne. Elle était noire comme de l’encre. Si cette circonstance rendit laborieux le passage d’un petit ruisseau bourbeux contre lequel s’appuie le campement de Puan, elle favorisait néanmoins nos projets. Quand on a affaire à l’ennemi le plus défiant, le plus insaisissable et le plus perspicace du monde, on ne doit négliger aucune précaution pour lui dérober ses mouvemens. Rien ne prouvait que quelque espion ne rôdait point aux alentours. Naturellement nous nous gardâmes bien de suivre tout d’abord la ligne droite idéale à l’extrémité de laquelle, au dire de notre guide, se trouvait Treycò, résidence actuelle de Catriel. Ce n’eût pas été le moyen de surprendre les Indiens que de les aborder du côté où ils devaient nous attendre. Il fallait les tourner ; il fallait de plus passer à proximité des lacs d’eau douce, fort rares dans la région où nous allions entrer. Quelques-uns de ces lacs, abrités entre des collines de sable, étaient entourés de bois ; c’étaient là d’excellentes cachettes, on les avait choisies pour les grandes haltes. Quant aux terrains découverts où l’œil d’un Indien en chasse aurait pu à plusieurs lieues surprendre la marche et calculer la force de notre colonne, on s’était arrangé de manière à les traverser de nuit. Pour plus de précautions, à l’inverse des sauvages, qui font leurs incursions quand la lune est dans son plein, oh avait lancé l’expédition au moment où elle ne se montre pas dans le ciel. Les phases de la lune jouent un grand rôle dans la guerre de frontière ; le guide en joue un non moins important. C’est un type à part que le vaqueano, nous pouvons bien lui donner ici le nom générique sous lequel il est connu, et qui signifie aussi : « l’habile ; » ce n’est pas un titre usurpé.

Nous avions eu quelque mal à nous procurer le nôtre. La zone