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cette phase décisive. Les opérations actives sont toujours attrayantes pour le soldat ; elles le sont bien plus encore quand elles se présentent comme le couronnement et la récompense d’une longue période de labeurs. Le docteur don Adolfo Alsina était plus que personne pressé d’agir. Atteint d’une maladie grave, il sentait ses forces, soutenues et surmenées par son énergique volonté, menacer de le trahir. Il avait hâte de voir ses plans, mal compris encore de la plupart de ses concitoyens, porter avec éclat leurs premiers fruits. Aussi le dernier coup de pioche était à peine donné au retranchement qui couvrait la frontière, qu’il se mit en route pour Carhué. Le conseil de guerre qui s’y tint le jour même de son arrivée ne fut pas long. Toutes les éventualités que pourraient présenter ces coups de main avaient été prévues, analysées, discutées tant de fois ! C’était un sujet épuisé. La seule chose nouvelle, c’était que Catriel serait l’objet de la première expérience et qu’on partirait sous trois jours. Il n’y avait pas là matière à objections. Tout fut réglé en quatre mots.

La frontière de Puan, qui dans cette circonstance avait la bonne fortune de posséder Catriel dans son rayon d’action, enverrait deux cents hommes de cavalerie et quelques troupes auxiliaires. Celle de Carhué fut autorisée à contribuer à l’expédition avec cent hommes. C’était une faveur qu’on lui accordait, une attention destinée à lui faire prendre patience jusqu’au moment où elle se mettrait en route à son tour pour balayer la pampa en face d’elle. Elle devait aussi fournir un corps d’Indiens irréguliers. C’étaient les Indiens de Manuel Grande, dont nous avons raconté ailleurs la défection. Ils venaient de rentrer en grâce après avoir échappé non sans peine à la surveillance de leurs alliés du désert, qui, à les en croire, les avaient entraînés à leur suite non comme des prisonniers, et les retenaient depuis lors de force. Sentant bien que l’on n’acceptait que sous bénéfice d’inventaire cette explication de leurs allées et venues, ils n’avaient pas manqué de faire parade de leur fidélité de fraîche date, et de solliciter la permission de se venger de leurs persécuteurs. Il n’y avait sans doute que le vieux Manuel Grande, leur cacique, dont la révolte n’eût pas été volontaire. Seul aussi, il était de bonne foi dans ses offres, qui furent acceptées. En tout cas, lui et les siens se conduisirent fort bien pendant toute la campagne.

Le lendemain matin, au lever du soleil, je reprenais avec le commandant Garcia la route que nous avions suivie la veille pour venir de Puan. Nous emportions l’un et l’autre de cette courte visite à Carhué une satisfaction de fâcheux augure pour Catriel. Le commandant don Teodoro Garcia avait été appelé depuis peu de jours à