Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 32.djvu/117

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pour cela qu’ils se présentent à lui avec la devise de terre et liberté (zemlia i volia). Et de fait, si le socialisme, si la révolution a jamais quelque chance de se faire accueillir du moujik, ce sera sous le couvert de la commune ; au lieu de fermer à jamais aux révolutionnaires la porte de l’izba du villageois, le mir pourrait un jour la leur ouvrir. Ce sera au nom du mir, qu’on nous représente comme la sauvegarde de la société, que le paysan sera invité à s’arrondir et à faire rentrer toutes les terres dans le domaine communal. La commune russe telle qu’elle existe dans l’ancienne Moscovie est en effet un facile moyen de s’emparer du sol au profit des masses, c’est le seul procédé pratique encore connu pour appliquer à la terre les théories du partage égal sans voir l’inégalité renaître du partage même. Ailleurs le plus grand obstacle à toute tentative communiste de ce genre est dans les mœurs ; or, grâce au mir, les mœurs du peuple russe n’y font point obstacle ; aussi oserons-nous dire que s’il doit y avoir quelque part une révolution agraire, elle ne saurait trouver un champ mieux préparé que la Russie.

Pour nous, cette vérité est si évidente que nous n’y insisterons pas davantage ; nous souhaitons seulement que les faits ne la rendent jamais trop manifeste. Les Russes se plaisent à nous représenter le mir et la propriété collective comme un remède souverain, un spécifique infaillible contre le socialisme et le communisme ; cela peut être vrai ; mais, si le mir a cette vertu, c’est conformément à la méthode qui, pour préserver d’une maladie, l’inoculait. On pourrait dire qu’avec la commune russe, le communisme, ou mieux le socialisme agraire, a été inoculé à la Russie, et que, grâce au mir, il circule inconsciemment dans ses veines et dans son sang. Le virus, à cette dose, restera-t-il toujours inoffensif ? Sera-ce un préservatif contre la contagion du dehors, ou, au contraire, déterminera-t-il un jour dans l’organisme social des désordres inattendus et des troubles graves ? L’avenir nous l’apprendra. En attendant, c’est là pour les sociétés un mode de traitement dont les gens prudens n’oseraient leur conseiller l’essai, de peur de leur faire prendre le mal dont elles voudraient se défendre.


V

Pourquoi une telle institution est-elle représentée par des hommes instruits et éclairés comme l’ancre de salut des sociétés humaines ? Est-ce toujours uniquement pour son mérite intrinsèque ? Non, assurément ; dans tous leurs panégyriques de la propriété collective, les écrivains russes ont une autre raison qui, à leur insu, est souvent la principale : c’est qu’il s’agit là d’une