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collective du mir russe une solution du problème social, ce ne peut être que dans un pays primitif encore tout rural et agricole, comme l’a été longtemps la Russie. Chez les peuples modernes, avec la division du travail entre l’agriculture et l’industrie, entre les campagnes et les villes, il n’en saurait être de même. Quel lot de terre donner aux millions d’habitans de nos capitales ? Où prendre une dotation foncière pour les familles entassées dans nos grandes villes, qui, grâce à l’industrie et au commerce, grâce au développement même de l’aisance, iront toujours en attirant dans leurs murs une plus notable partie de la population ? Ce dont souffre surtout l’Europe occidentale, ce dont souffre presque uniquement la France, c’est un prolétariat manufacturier, un paupérisme urbain, et ce que certains Russes nous offrent pour remède, comme une sorte de panacée sociale, n’est qu’une recette villageoise, tout au plus bonne pour les campagnes.

Et pour la vie rurale, pour les campagnes mêmes, est-ce bien là un remède certain, un spécifique infaillible ? Laissons de côté l’intérêt de la production qui a bien son importance, comment ne pas voir que, pour posséder toute son efficacité, le régime de propriété en usage dans les campagnes russes a besoin de larges espaces ? Pour reconnaître à chaque habitant, à chaque couple adulte, une sorte de droit à la terre, il faut avant tout avoir des terres et des terres libres. Les communes russes, celles au moins qui sont assez bien dotées territorialement, ont à cet effet des réserves qu’elles gardent pour les nouveaux partageans. C’est là en effet le seul moyen de satisfaire tous les ayans droit au fur et à mesure de leur apparition sur la scène du travail, mais un tel système exige des vides dans la population ou des vacances dans les terres cultivées. Au banquet de la propriété foncière il est facile à un pays neuf de convier tous les nouveaux venus ; mais tôt ou tard il devient malaisé de faire place aux arrivans sans gêner les premiers, assis au festin. Le nombre des convives augmentant toujours sans que la table commune s’élargisse, ne finiront-ils point par se trouver tous à l’étroit et par n’avoir chacun qu’une maigre et insuffisante portion ?

En restreignant les terres disponibles et en rétrécissant le lot de chaque famille, tout accroissement de la population tend à diminuer la facilité des partages et le bien-être des copartageans. C’est là pour l’avenir ce qui menace peut-être le plus la propriété collective du moujik. Une chose avérée en effet et facile à comprendre, c’est que le régime du mir sollicite à l’accroissement de la population aussi bien qu’au mariage, chaque famille ayant droit à une part du sol d’autant plus grande qu’elle compte plus de bras et de travailleurs. Au lieu de diminuer, en le divisant, le champ