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ces combinaisons que la dernière guerre d’Orient a enfantées et dont la diplomatie européenne réunie à Berlin a eu la bonne, la généreuse intention de faire un ensemble acceptable et durable ? C’est ce qui s’agite encore, c’est ce qui n’est point complètement éclairci, puisqu’à chaque pas semblent surgir de nouveaux contre-temps, de nouvelles difficultés, et au milieu de ces suites confuses des plus récentes commotions, voici un incident assez inattendu, peu important par lui-même, mais singulièrement et douloureusement significatif par tous les souvenirs qu’il évêque. C’est l’abrogation pure et simple de l’article 5 du traité de Prague que l’Allemagne et l’Autriche viennent de négocier et de décider paisiblement, en tête-à-tête, aux dépens du petit et généreux Danemark, sans s’informer de l’opinion de l’Europe.

C’est le dernier mot d’une vieille histoire dont on ne parlait plus, qui semblait oubliée, et si ce dernier mot qui vient d’être divulgué a causé quelque étonnement mêlé d’une certaine émotion, c’est que cette vieille histoire elle-même se rattache à tout ce qui s’est passé depuis quinze ans, à tout ce qui se passe encore. Elle a été le commencement des conquêtes allemandes, des entreprises de M. de Bismarck qui, arrivant au pouvoir, ne tardait pas à se mettre à la recherche d’un conflit, quœrens quem devoret ! Elle rappelle cette première guerre de 1864 que la Prusse et l’Autriche engageaient contre le Danemark, et qui, après la spoliation du Danemark, allait si vite aboutir à la défaite de l’Autriche elle-même, à la guerre de 1866, au traité de Prague, consécration victorieuse de la prépondérance prussienne en Allemagne. Dans ce traité de Prague, signé après Sadowa, le 23 août 1866, il y avait un article qui, en consacrant la rétrocession à la Prusse de tous les droits de l’Autriche sur une conquête commune, sur le Holstein et le Slesvig, ajoutait cette condition ou cette réserve que « les habitans des districts nord du Slesvig devront être cédés au Danemark s’ils font connaître par un libre vote leur désir d’être réunis à ce pays. » C’était à cette époque, si l’on s’en souvient, le seul effet, le fort modeste résultat de la médiation française ; c’était un de ces actes de puérile et vaine ostentation dont la politique napoléonienne aimait à s’étourdir, dont elle a reçu le prix et que par malheur aussi elle a fait expier cruellement à la France. L’empereur Napoléon III, après avoir laissé tout s’accomplir, après avoir tout favorisé par ses connivences décousues ou par son imprévoyante inertie, croyait avoir beaucoup fait en introduisant dans les préliminaires de Nikolsbourg, puis dans le traité de Prague, la réserve du droit de plébiscite au profit des habitans du Slesvig ; il n’avait oublié que la manière d’assurer la réalisation pratique de cette condition, — qui par le fait n’a jamais été exécutée et qui était d’ailleurs une obligation diplomatiquement circonscrite entre les deux signataires, la Prusse et l’Autriche. Il n’est resté qu’un mot inscrit dans un article de traité et survivant à tous les événemens. C’est cet article 5 du traité de Prague qui