Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 31.djvu/955

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

n’attendent pas même d’être amnistiés pour montrer comment ils entendent s’apaiser, qui en sont déjà à braver société et gouvernement. Ces garanties et ces droits, le ministère les maintiendra résolument jusqu’au bout sans nul doute, dût-il avoir, pour les défendre, à ramener à l’ordre le conseil municipal de Paris ; il ne peut les abandonnera sans faiblesse et sans danger, » c’est M. le garde des sceaux qui le dit, et il sera sûrement soutenu par le sénat, comme il a déjà la sanction de M. le président de la république. Est-ce que sérieusement il pourrait y avoir dans la chambre des députés une majorité disposée à ne tenir compte de rien, à voter une amnistie plénière qui serait représentée aussitôt comme une sorte de désaveu de la répression de 1871 ? C’est encore incertain, dit-on, il y aura une bataille parlementaire à livrer, et c’est déjà un mal qu’il puisse y avoir un doute. La question intéresse certainement la société française tout entière, et elle intéresse aussi spécialement les républicains, car il s’agit pour eux de se dégager de toutes les solidarités compromettantes. Pensent-ils servir avec intelligence la république en proposant d’inaugurer cette phase nouvelle de son règne par un acte qui aux yeux de l’étranger surtout la confondrait avec la commune, qui ressemblerait à une faiblesse ou à une complaisance pour des souvenirs sinistres ? S’ils réussissaient, ils auraient porté le premier coup, peut-être un coup irréparable à la république, et dans tous les cas ils auraient commencé par provoquer une crise de ministère qui serait vraisemblablement le point de départ de bien d’autres crises.

Ce qu’il y a de curieux, c’est l’espèce d’attrait et de fascination qu’exercent sur certains esprits toutes les questions périlleuses, les questions faites pour agiter, pour émouvoir toutes les passions et tous les intérêts. C’est le vieux fonds révolutionnaire qui reparaît dans ces esprits toujours prêts à se jeter sur les affaires irritantes comme sur une proie. Ils poursuivent l’amnistie au profit de la commune même au-delà de la clémence permise, et ils en sont encore à méditer la mise en accusation des anciens ministres du 16 mai. Ils n’ont pas dit leur dernier mot, ils se réservent les coups de théâtre, et ils ne s’aperçoivent pas de ce qu’il y a de peu sérieux, de bizarre dans cette instruction mystérieuse qu’ils conduisent comme une affaire de l’inquisition, qu’ils ralentissent ou qu’ils reprennent selon les circonstances. Ce qui en sera, nous ne le savons pas, on ne peut rien prévoir tant qu’il n’y a pas dans la chambre une majorité visible, coordonnée, résolue à écarter toutes les occasions de troubles inutiles, de crises sans issue. Ce qu’il y a de certain, c’est que, si on se laissait entraîner dans cette voie, on se préparerait les difficultés les plus graves, les plus épineuses, et la première de toutes les difficultés serait dans la juridiction même du tribunal. Le sénat a sans doute reçu de la loi une juridiction souveraine, il peut juger ; mais qu’on songe un instant à la position qu’on créerait à