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fonctions de la vie commune. Qu’ils s’en aillent ensemble loin d’ici sans laisser graine de leur espèce, et que la terre entière soit débarrassée de cette engeance ! » Quand je lis ces paroles violentes, Celse ne me semble plus aussi tolérant et aussi modéré que M. Pélagaud voudrait le faire croire, et je ne puis pas trouver que M. Keim ait tout à fait raison de nous le représenter comme un messager de paix qui vient apporter aux deux partis des conditions équitables.

Ce qui est vrai, ce que M. Aubé fait très justement ressortir, c’est que tout à coup, à la fin de son livre, Celse prenait un autre ton. Origène l’indique suffisamment : « Après cela, dit-il, Celse nous engage à soutenir l’empereur de toutes nos forces, à partager avec lui la défense du bon droit, à combattre pour lui, à porter les armes avec lui, si les circonstances l’exigent ; bien plus, il nous exhorte aussi à prendre notre part des fonctions publiques, s’il le faut, pour le salut des lois et la cause de la piété. » Ainsi celui qui menaçait tout à l’heure exhorte et engage : les railleries et les violences ont disparu pour faire place au pathétique : il finit par implorer ces persécutés qu’il souhaitait voir disparaître du monde. Ce changement est sans doute assez inattendu, mais les circonstances l’expliquent. L’ouvrage de Celse, nous l’avons vu, a été composé à la fin du règne de Marc-Aurèle. Jamais l’autorité n’avait été dans des mains plus honnêtes, jamais le bonheur du monde n’avait paru plus assuré. Rien pourtant ne fut plus triste et plus désolé que les dernières années d’un si grand règne. La peste et la famine ravageaient l’Italie, les barbares se pressaient sur la frontière, l’empereur, malade, découragé, allait partir pour les combattre. Il semblait qu’on pouvait tout craindre, après tant d’espérances trompées. C’est sans doute sous cette impression de tristesse et d’effroi que Celse a écrit la fin de son livre. Son cœur est tout ému des dangers que courent l’empereur et l’empire. Quand il songe « que le monde peut devenir la proie des barbares les plus sauvages et les plus grossiers, » que la civilisation romaine va peut-être périr, « et que c’en sera fait de la gloire et de la sagesse parmi les hommes, » il veut qu’on oublie toutes les querelles intérieures, toutes les rivalités d’opinion, et que toutes les forces s’unissent contre l’ennemi commun, sous la conduite du chef légitime. L’ardent polémiste se tait, c’est le patriote qui parle. — Mais il était difficile que le patriote guérît les blessures cruelles que le polémiste avait faites. Quelque pressant que fût l’appel adressé par Celse aux chrétiens, ils ne pouvaient oublier que celui qui invoquait ainsi leur appui au nom du prince et de la patrie était le même homme qui venait d’attaquer leurs croyances, d’injurier leur Dieu et d’encourager leurs persécuteurs.