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DODONE.

Le sanctuaire de Dodone vient d’être retrouvé par M. Carapanos. On le cherchait généralement plus près du lac de Janina ; la plupart le plaçaient à Castritza. Seul, il y a une vingtaine d’années, M. Gaultier de Claubry, alors membre de l’École française d’Athènes, conduit par une exploration de l’Épire aux ruines importantes situées près de Tcharacovista, que presque tout le monde attribuait à l’antique Passaron, la capitale de la Molossie, eut la pensée d’y mettre Dodone. Il avait raison ; mais cette hypothèse d’un jeune homme, contredite par l’opinion à peu près unanime des voyageurs et des savans, et seulement consignée dans un mémoire inédit qu’il avait envoyé à l’Académie des inscriptions, passa inaperçue[1]. M. Carapanos apporte aujourd’hui à l’appui de cette attribution des argumens irréfutables : il a fouillé les ruines de Tcharacovista, et ses fouilles ont mis au jour une grande quantité d’offrandes et d’inscriptions qui ont rapport à Zeus Naïos et à Dioné, les deux grandes divinités de Dodone, ainsi qu’à leur oracle. C’était donc bien là, dans une vallée haute, humide et froide, qu’était le temple. La montagne élevée, à laquelle les ruines sont adossées, est le Tomaros ; la petite enceinte garnie de tours qui dépasse de deux ou trois mètres le sol de la colline, c’est l’ancienne acropole ; le grand et beau théâtre, si bien conservé, dont les gradins s’étagent au-dessous, n’a pas servi aux fêtes que les rois d’Épire donnaient dans leur capitale, mais, comme le prouvent des inscriptions, à la célébration des jeux naïens en l’honneur de Zeus Naïos et de Dioné ; enfin ces murs qui descendent de la colline à côté du théâtre marquent l’enceinte sacrée où s’élevaient diverses constructions religieuses, et d’abord le temple de Jupiter, dont les ruines se confondent avec celles d’une église chrétienne qui lui avait succédé.

Cette enceinte était naturellement désignée comme le champ principal de l’exploration qui a été si heureusement conduite par M. Carapanos. Aussi est-ce de là que proviennent les nombreux objets qu’on a vus figurer avec honneur à l’exposition du Trocadéro. Les artistes ont remarqué parmi ces objets de beaux bronzes, dont un certain nombre remontent à une date très ancienne : des statuettes comme le satyre à pieds de cheval, si vivant malgré son caractère archaïque ; des ornemens estampés et ciselés qui appartenaient à des cuirasses, à des casques votifs, à des ustensiles de diverse nature, précieux témoignages de la variété de l’art grec. Figures d’animaux, belles têtes humaines, combats de héros, fictions mythologiques, feuilles et fleurs, spirales, volutes, dessins ornementaux, se succèdent et se combinent dans une abondance de motifs qui fait apprécier toutes les ressources de la toreutique. Quoi de plus riche et de plus intéressant par exemple que

  1. On la trouve cependant mentionnée dans l’Itinéraire de l’Orient, du docteur Isambert ; mais seulement dans la deuxième édition qui a paru en 1873. C’est une preuve de plus de la valeur de cet ouvrage même pour le public savant.