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temples, comme tout le monde, et se mêler aux fêtes publiques. Il arrivait donc, au moins en apparence, que toutes les classes de la société romaine, en participant au même culte, semblaient partager les mêmes croyances, et comme les religions des différens peuples polythéistes reposaient au fond sur un principe commun, l’adoration de la nature, que leurs divinités diverses, n’étant toutes que des personnifications des forces naturelles, avaient ensemble un air de ressemblance, il s’ensuivait qu’on pouvait dire et croire qu’en ce moment le monde entier était à peu près réuni dans la même foi. « Toutes les nations les plus vénérables par leur antiquité, dit Celse, conviennent entre elles sur les principes essentiels. Égyptiens, Assyriens, Chaldéens, Indiens, Odryses, Perses, Samothraciens et Grecs, ont tous des traditions à peu près semblables. » Les chrétiens seuls essaient de troubler cette belle harmonie. Ils prétendent qu’ils viennent établir l’unité dans le monde[1] ; on leur répond que l’unité est faite et qu’au contraire ils risquent de la rompre. Aussi Celse les regarde-t-il comme des brouillons, des factieux que l’esprit de contradiction possède, qui éprouvent le besoin de croire et de dire le contraire des autres. « Si tous les hommes voulaient se faire chrétiens, dit-il, eux-mêmes cesseraient de l’être ; » et c’est cette pensée, que par leurs nouveautés dangereuses ils risquent de troubler la paix publique et la concorde religieuse des nations, qui excite surtout sa colère.

Cette colère va souvent jusqu’à d’étranges excès. Celse écrit son livre pendant un temps de persécution. Il dit expressément dans un endroit que le culte du Christ est banni de toute l’étendue des terres et des mers, et que ses sectateurs sont jetés en prison ou mis en croix. Ailleurs, il leur rappelle que leur Dieu n’a pas tenu les promesses qu’il avait faites à ses fidèles. Les Juifs, qui se flattaient de l’empire du monde, n’ont plus une motte de terre ni un foyer : « Et quant à vous, ajoute-t-il d’un air triomphant, s’il reste encore quelques chrétiens errans et cachés, on les cherche pour les conduire à la mort. » Celse ne trouve rien à reprendre à ces supplices. Le prince a raison de frapper des sujets rebelles qui ébranlent le principe d’autorité ; lui-même, quand il les voit obstinés à vivre autrement que tout le monde, fuyant les cérémonies publiques ou privées pour ne pas rendre hommage aux dieux qui président à tous les actes de l’existence, il perd patience, il s’emporter il laisse échapper ce cri de haine et de colère : « Alors, qu’ils renoncent à prendre la robe virile, à se marier, à devenir pères, à remplir enfin aucune des autres

  1. Cette unité doctrinale et rigoureuse que les chrétiens veulent établir entre toutes les nations paraît à Celse une pure chimère. « Qui se met cela en tête, dit-il, témoigne bien qu’il n’a rien vu. « Il s’en tient à la communauté d’opinions générale et vague qui unit entre eux tous les peuples polythéistes.