Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 31.djvu/929

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dessiné sa distribution sur les branches et photographié l’aspect de la forêt de Fontainebleau. Deux professeurs, l’un du collège d’Épernay, M. Masse, l’autre, M. Godefroy, du petit séminaire de Saint-Mesmin, dans le Loiret, ont donné tous deux une explication plausible du phénomène ; enfin j’ai eu le bonheur de rencontrer parmi mes amis un témoin oculaire, le général Riffault, ancien commandant de l’École polytechnique ; il eut la bonne fortune de voyager en pleine forêt pendant l’événement et le désagrément d’assister aux avaries de sa propriété. Personne assurément n’était plus intéressé à les regarder ni plus compétent pour en bien apprécier les conditions scientifiques. C’est à l’aide de ces documens que j’ai pu reconstituer le phénomène et en discuter les causes.


I

On doit se souvenir que les premiers jours du mois avaient été signalés par la chute de quantités considérables de neige, non-seulement à Paris et en France, mais sur toute la partie moyenne de notre hémisphère, et comme le principal effet de la neige est de balayer l’atmosphère en tombant, on peut être assuré qu’elle avait entraîné toutes les poussières, tous les germes, tous les sels que les vents apportent ordinairement avec eux. L’air avait donc été remarquablement purifié, et il est probable que cette circonstance n’a pas été sans influence sur l’événement qui se préparait et qui survint le 22 janvier.

Rien n’en faisait d’abord prévoir la gravité. Vers le milieu du jour, on vit tomber silencieusement, par un temps calme, une pluie fine, continue, peu abondante et très froide. A l’estime, le général Riffault admettait que la température était au moins égale, peut-être même inférieure à zéro. A Épernay, M. Masse s’empressa de mesurer cette température, qu’il trouva comprise entre 4 et 6 degrés au-dessous de zéro. Les observations de M. Godefroy confirment ces nombres. Enfin le capitaine Piebourg, à Fontainebleau, affirma que pendant toute sa durée la pluie s’est maintenue à — 3 ou — 4 degrés. On ne peut donc élever aucun doute sur ce point. Il faut bien remarquer que c’était une vraie plaie, constituée par des gouttes réellement liquides, sans aucun mélange de cristaux de glace ; et, puisque l’eau se congèle ordinairement à zéro, la température basse qu’elle prit et garda sans interruption pendant deux jours est tellement anormale qu’on se refuserait à y croire, si elle n’était aussi formellement attestée par les observateurs. On verra que c’est précisément cette condition singulière que nous invoquerons quand nous voudrons expliquer les événemens de la nuit et du jour suivant.