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trouvaient chez Homère de si agréables et de si poétiques ? Il plaint sincèrement ces pauvres gens perdus dans un canton de la Palestine et tout à fait illettrés de n’avoir pas connu les chants sacrés d’Hésiode et des autres poètes inspirés du ciel qui leur auraient évité la peine d’imaginer tant d’histoires incroyables et grossières. S’ils ont besoin à tout prix de dieux charnels, qu’on voie des yeux du corps, qu’on entende de ses oreilles et qu’on touche de ses mains, ne peuvent-ils pas aller visiter, par exemple, les sanctuaires d’Amphiaraüs, de Trophonius ou de Mopse ? « Là, leur dit-il, vous pourrez vous satisfaire : vous y verrez les dieux que vous souhaitez, non pour une fois et en passant, comme vous avez vu celui qui a fait de vous ses dupes, mais d’une façon permanente ; vous en trouverez qui sont toujours là pour ceux qui veulent converser avec eux. » Ce ton ironique et dédaigneux est celui d’un sage qui ne comprend pas chez les autres des besoins qu’il n’éprouve pas lui-même. Platon lui suffit ; tout ce qui s’en écarte lui déplaît. Les chrétiens lui semblent des gens mal élevés qui enflent la voix, qui imposent brutalement leurs opinions et menacent toujours du feu éternel. Ah ! que Platon a meilleure grâce, lorsqu’il dit à peu près les mêmes choses qu’eux, mais simplement, sans fracas, sans colère, sans proclamer d’un ton d’oracle qu’il a trouvé quelque chose de nouveau et qu’il vient du ciel pour nous l’apporter ! L’admiration qu’il éprouve pour cette aimable philosophie et la façon dont elle fut enseignée lui fait oublier les exigences des temps nouveaux. Il ne s’aperçoit pas que ce qui convenait aux contemporains de Périclès ne suffit plus à ceux de Marc-Aurèle, qu’autour de lui les esprits, rassasiés de luttes, fatigués d’erreurs, avides de certitude, cherchent une doctrine solide à laquelle ils puissent définitivement s’attacher, qu’il faut que cette doctrine, pour être au-dessus des discussions, soit imposée au nom d’un Dieu et vienne du ciel. Ces maximes, qui blessent la raison de Celse : « Il faut croire sans examiner, » et « C’est la foi qui sauve, » il ne voit pas que de son temps elles sont tout à fait appropriées à l’état des âmes. En général, ce que Celse saisit le moins, c’est l’opportunité du christianisme. Il lui reproche les doctrines qui convenaient le mieux à cette époque tourmentée, et qui ont fait son succès. Croirait-on qu’il le raille cruellement de s’adresser aux pauvres, aux ignorans, aux déshérités ? « Voici de leurs maximes, dit-il loin d’ici ceux qui ont quelque culture, quelque sagesse, quelque jugement, ce sont de mauvaises qualités à nos yeux ; mais que les illettrés, les simples, les esprits bornés et incultes viennent hardiment. » Et il ne s’aperçoit pas que c’est pour avoir appelé à lui ces misérables ou, comme il les nomme dédaigneusement, « ces âmes viles, » trop négligées par la philosophie, que le christianisme a si vite gagné le monde.