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les solliciteurs et les réclamans de toute provenance, ceux-ci pour le vinaigre ou la bière, ceux-là pour les chapeaux de paille, les uns pour les peaux de lapin, les autres pour les joujoux, pour les soldats de plomb et les a bébés, » qui ne peuvent encore, parait-il, résister à la concurrence de l’Allemagne. Et les sièges de canne, et les crayons, et les serinettes, et les violons, et les carreaux de briques, et le cirage, et les boutons de chemise, et l’amidon, et les sardines ! Tout cela est venu réclamer son obole de protection contre la concurrence étrangère. Cette représentation, trop prolongée peut-être, a dû parfois égayer nos législateurs ; il est à souhaiter qu’elle les ait suffisamment édifiés sur la valeur des argumens produits dans le sens d’une aggravation de droits et sur l’âpreté presque ingénue de ceux qui prétendent exploiter à leur profit les taxes douanières.

Voici, par exemple, les fabricans d’alun et de sulfate d’alumine. L’ancien tarif fixait un droit de 30 francs par 100 kilogrammes, qui s’est trouvé réduit à 1 fr. 15 cent, pour la provenance italienne, en vertu du traité. Le nouveau tarif propose ce même droit de 1 fr. 15 cent, à titre général Nos fabricans réclament 8 francs. Il s’agit d’une matière nécessaire à l’industrie ; sa production emploie une douzaine d’établissemens, qui paient environ 1,500,000 francs de main-d’œuvre. Or il se trouve que l’Italie obtient l’alun à très bas prix et peut nous le fournir en quantités indéfinies. Le dommage est si grand pour les fabriques d’alun qu’il faut y mettre ordre au moyen d’un gros droit. Ce n’est pas tout : il y a près de Rome, à Tolfa, dans l’ancien domaine du pape, un terroir qui donne l’alun presque naturel. Sous le gouvernement pontifical, qui ne s’occupait pas des choses d’industrie, ce terroir n’était pas exploité ; mais depuis qu’il appartient au royaume d’Italie, une société s’est avisée de le mettre en valeur, et elle vend aujourd’hui cette terre d’alun. Il convient donc de surtaxer non-seulement l’alun et le sulfate d’alumine, mais aussi la terre de Tolfa. Jusqu’ici le raisonnement est conforme à la doctrine protectionniste. Mais on fait remarquer aux fabricans d’alun que, malgré les désavantages dont ils se plaignent, ils ont pu exporter à l’étranger, en Russie, en Espagne, en Amérique, des quantités assez considérables d’alun français, ce qui semblerait indiquer une situation relativement prospère. Nullement, répondent-ils, et ici il faut citer : « Nous avons pu jusqu’ici exporter 3 millions de kilogrammes par an, parce que les prix de vente à l’extérieur étant rémunérateurs, nous faisions des sacrifices sur nos bénéfices pour exporter à des prix inférieurs à ceux de l’intérieur ; cette manière de procéder ne nous est plus possible aujourd’hui, les bénéfices à l’intérieur ayant disparu. »