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colonne des importations, ne leur fournissait aucun élément d’information, même approximative, pour l’établissement des taxes qui devaient réaliser les intentions du traité. L’incertitude était d’autant plus grande que tous les industriels réclamaient énergiquement la totalité de la protection de 30 pour 100 que la convention avait stipulée comme un maximum, et se déclaraient perdus, eux et leurs ouvriers, si le gouvernement commettait l’imprudence d’adopter un tarif inférieur. — Comment résister, disaient-ils, à l’industrie anglaise, qui obtient au plus bas prix les métaux, la houille, les matières premières apportées de tous les points du monde dans ses vastes entrepôts, et le crédit qui entretient et développe le travail ! Et s’il arrive par hasard que pour certains produits la France n’ait pas à redouter au même degré la concurrence anglaise, prenez garde à la Belgique, à l’Allemagne, à la Suisse, qui, fabriquant ces produits dans des conditions d’économie exceptionnelle, nous les enverront par la voie de l’Angleterre, en attendant qu’elles obtiennent à leur tour le bénéfice d’un traité qui leur ouvrira l’accès direct de notre marché. La suppression des prohibitions, ce n’est qu’un péril : un tarif au-dessous de 30 pour 100, c’est la ruine ! — Voilà quel était le langage des manufacturiers, multipliant à l’appui de leurs déclarations les calculs les plus détaillés sur les ressources comparées des industries étrangères et de l’industrie française. Le conseil supérieur ne céda point à ces exigences, puisqu’il adopta pour la plupart des articles un régime de taxe variant de 15 à 20 pour 100 ; mais ne doit-on pas reconnaître que ses décisions furent influencées, dans une certaine mesure, non-seulement par le bruyant concert de plaintes et de supplications qui s’exécuta devant lui, mais encore et surtout par cette considération que, les tarifs conventionnels ayant une durée ferme de dix ans pendant lesquels l’erreur était irréparable, il valait mieux dans le doute pécher par excès que par insuffisance de protection ? En d’autres termes, si les membres du conseil supérieur de 1860 avaient pu lire dans l’avenir et prévoir sûrement les résultats de leurs tarifs, ils n’auraient pas hésité à établir des droits moins élevés, qui auraient été suffisans pour sauvegarder les intérêts de l’industrie française. Par conséquent, prendre, pour type de notre loi douanière en 1879 le régime de taxes adopté en 1860, c’est demeurer bien en deçà des réformes qui auraient dû être accomplies il y a dix-neuf ans, c’est faire à l’intérêt exclusif des manufacturiers une concession exagérée et injustifiable, à moins que l’on ne prouve que depuis dix-neuf ans la France serait tombée en pleine décadence industrielle.

Les deux enquêtes se ressemblent d’ailleurs d’une manière frappante : ce sont les mêmes argumens répétés souvent par les