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jugé ; mais devant le législateur la question est posée sur le terrain des intérêts. Tous les efforts des protectionnistes tendent à démontrer que la réunion de leurs intérêts particuliers représente l’intérêt général et qu’il y a profit pour le pays à défendre par des barrières plus ou moins élevées le marché intérieur contre les produits étrangers. Il ne suffit donc pas d’établir l’excellence d’un principe ; il importe également de prouver que l’application de ce principe concorde avec l’intérêt public, et que la législation qui s’en inspire est celle qui doit profiter le plus sûrement à l’ensemble de la nation.

Dans l’état social tel qu’il est présentement constitué, la liberté du travail peut être considérée comme une liberté fondamentale ; elle figure au premier rang des libertés nécessaires. L’échange est un travail aussi bien que la production. Tout ce qui arrête ou gêne son mouvement est une atteinte directe à une liberté essentielle. — Dans notre état politique, qui tend de plus en plus à supprimer les privilèges corporatifs, les redevances personnelles, les impôts particuliers, il n’est plus possible de maintenir ni de faire revivre un régime qui a pour effet d’augmenter artificiellement le bénéfice de telle ou telle branche de travail et de créer ainsi, au profit de certaines catégories de citoyens, un privilège, un revenu, un véritable impôt. L’impôt n’est dû qu’à l’état. — Enfin, si l’on se place au point de vue des relations internationales, il est certain que l’établissement des barrières de douanes est en contradiction absolue avec les progrès matériels qui rapprochent les peuples au moyen des chemins de fer, de la navigation à vapeur, des télégraphes, etc. Comment, en présence de-cette union presque universelle, proclamer une loi de divorce ?

Il n’est plus nécessaire, après tant de démonstrations éloquentes, de développer les argumens qui recommandent la liberté des échanges ; il suffit de les énoncer dans les termes les plus concis, en rappelant qu’il s’agit non-seulement d’un attribut de liberté, mais encore d’un droit de propriété auquel il ne peut être touché que sous la pression d’une nécessité absolument impérieuse. On ouvre des enquêtes afin de reconnaître dans quelle mesure, à quel degré il semble utile d’abaisser ou de relever les taxes douanières. Cette procédure est incorrecte. Les enquêtes devraient porter sur le point de savoir s’il est nécessaire de déroger, dans un intérêt spécial et déterminé, à la liberté du travail, au droit de propriété. Un tarif crée une servitude, une diminution de jouissance ; il équivaut à un acte d’expropriation pour cause d’utilité publique. Il ne serait pas indifférent que la question fût ainsi posée, conformément aux règles logiques et à l’inverse de ce qui est pratiqué dans les