Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 31.djvu/90

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

prévalu contre les commandemens de Dieu, fable bonne pour de vieilles femmes, récit où, contre la piété, on fait Dieu si faible dès le commencement qu’il ne peut se faire obéir d’un seul homme qui est son ouvrage. » Il distingue en termes très nets et très précis la différence qui sépare l’ancienne loi de la nouvelle. « Comment le Dieu des Juifs leur commande-t-il par l’organe de Moïse de chercher les richesses et la puissance, de se multiplier de façon à remplir la terre, de massacrer leurs ennemis, sans épargner les enfans, et d’en exterminer toute la race ? Comment les menace-t-il, s’ils manquent à ces lois, de les traiter en ennemis déclarés, tandis que son fils, l’homme de Nazareth, donne des lois tout opposées, déclare que le riche n’aura pas accès auprès de son père, ni celui qui recherche la puissance, ni celui qui affecte la sagesse ou la gloire ; enseigne qu’on ne doit pas plus s’inquiéter des besoins et de la subsistance de chaque jour que ne font les corbeaux, qu’il faut se mettre moins en peine du vêtement que les lis, que, si on vous donne un coup, il faut se présenter pour en recevoir un autre ? Qui donc ment ici, de Moïse ou de Jésus ? Est-ce que le père, quand il a envoyé son fils, a oublié ce qu’il avait dit en tête-à-tête à Moïse ? Est-ce qu’il a changé d’opinion, condamné ses propres lois, et chargé son délégué d’en promulguer de nouvelles ? » Il reprend, en l’accompagnant d’un commentaire railleur, tout le récit de la vie de Jésus ; il prétend expliquer ses miracles, il plaisante sur sa naissance et sur sa mort, surtout il nie sa résurrection. « Vivant, il n’avait rien pu pour lui-même ; mort, — prétendez-vous, — il ressuscita et montra les marques de son supplice et les trous de ses mains. Mais qui a vu cela ? Une femme hystérique, à ce que vous dites vous-mêmes, et quelque autre peut-être de la même troupe ensorcelée. S’il voulait faire éclater réellement sa divinité, il fallait qu’il se montrât à ses ennemis, au juge qui l’avait condamné, à tout le monde en général. De son vivant, il se prodiguait en prédications, après sa mort, il ne se fit voir qu’en cachette et à quelques affiliés. Son supplice a eu tout le monde pour témoin, sa résurrection n’en a eu qu’un seul : il fallait que ce fût tout le contraire. »

Voilà le ton de la polémique de Celse : spirituelle et violente, elle ne manque pas ordinairement d’habileté, mais on y trouve aussi quelques maladresses dont Origène triomphe aisément. Quoiqu’il soit plus éclairé et mieux instruit que les autres ennemis du christianisme, il y a des préjugés de secte et de nationalité dont il ne peut pas tout à fait se défendre. Autour de lui, on est tenté d’apprécier le mérite d’une religion par le caractère des peuples qui la pratiquent. Il a nui beaucoup au christianisme dans l’estime des Grecs d’avoir pris naissance en Judée ; quelque chose du mépris qu’on éprouvait pour les Juifs en est retombé sur lui. Celse non